« Mia est debout devant le bar, elle tapote sa montre invisible tandis quâil sâapproche, câest son truc pour lui dire quâelle a gagnĂ© la partie.  Deux ans en arriĂšre, câest ici que NoĂ© lâa rencontrĂ©e. Belle au milieu du carnage, seule Ă une heure oĂč il ne reste que des ivrognes et des gens malheureux. Ici quâelle sâest laissĂ© sĂ©duire une premiĂšre fois par lui (sans grande conviction), un soir de tristesse ou quâimporte. Elle sait que ce garçon est de ceux qui sont un peu trop passionnĂ©s, les brillants mais fragiles, elle nâa pas le temps pour ça. Elle a dĂ©jĂ un travail. Il a insistĂ©, encore et encore, et a fini, on ne sait trop comment, par y arriver, jouant de tous ses atouts. Tous les moyens sont bons quand on est amoureux. Depuis ce soir-lĂ , Mia est restĂ©e son unique trĂ©sor, elle est sa grande histoire. Ils vivent un amour par intermittence, qui se trimballe sans trop savoir oĂč aller, qui se glisse dans des intervalles un peu au hasard, en attendant de devenir plus concret. Elle est pour lui une montagne quâil lui faudrait gravir en caleçon, sans chaussures, sans chaussettes. Et, tant quâil aura la force, il essaiera de lâarracher Ă ses mĂ©fiances, Ă ses peurs.  Elle a les cheveux mouillĂ©s, il le savait. Elle porte un long manteau, un jean noir, et elle ne le quitte pas du regard, il a les oreilles qui brĂ»lent. Elle est grande mais pas trop, blonde mais pas trop, alors disons chĂątain clair. Elle a les yeux verts, trĂšs verts, un nez Modigliani qui scinde son visage en deux parties parfaitement identiques, et ses lĂšvres, toutes roses, forment la plus belle bouche du monde. Elle se met Ă sourire quand NoĂ© sâapproche dâelle, le genre de sourire auquel on pense avant de sâendormir et le matin quand on se rĂ©veille.  â Jâai mĂȘme eu le temps dâoublier mon tĂ©lĂ©phone et dâaller le chercher. Tâes en retard, elle lui dit en souriant, comme de vieux amis, de vieux amants. â Jâimaginais des baskets ou un truc avec des lacets, il lui dit et il a peur. â RatĂ©, champion.  Elle se demande ce quâelle peut bien avoir Ă rĂ©pondre à ça, elle a encore perdu ses mains. Il est des moments oĂč le corps parle Ă la place du reste, tant mieux. Elle sâĂ©lance et le serre dans ses bras. Il sent toujours bon, il est tout chaud contre elle. Dix, quinze secondes, peut-ĂȘtre seulement trois. Elle reprend enfin son souffle et elle voit ses mains dans son dos.  Ils entrent dans le bar, leur bar. Celui de leur rencontre et de leurs sĂ©parations. Il y en a eu quelques-unes, brĂšves ou non, plus ou moins glaciales, plus ou moins dâun commun accord. Elle se dit que les ruptures Ă lâamiable de deux personnes qui sâaiment sont comme les faux tiroirs dans les cuisines, câest inutile et on continue de se faire avoir mĂȘme des annĂ©es aprĂšs. » |