L'Air de l'eau Toujours pour la première fois C’est à peine si je te connais de vue Tu rentres à telle heure de la nuit dans une maison oblique à ma fenêtre Maison tout imaginaire C’est là que d’une seconde à l’autre Dans le noir intact Je m’attends à ce que se produise une fois de plus la déchirure fascinante La déchirure unique De la façade et de mon cœur Plus je m’approche de toi En réalité Plus la clé chante à la porte de la chambre inconnue Où tu m’apparais seule Tu es d’abord tout entière fondue dans le brillant L’angle fugitif d’un rideau C’est un champ de jasmin que j’ai contemplé à l’aube sur une route des environs de Grasse Avec ses cueilleuses en diagonale Derrière elles l’aile sombre tombante des plants dégarnis Devant elles l’équerre de l’éblouissant Le rideau invisiblement soulevé Rentrent en tumulte toutes les fleurs C’est toi aux prises avec cette heure trop longue jamais assez trouble jusqu’au sommeil Toi comme si tu pouvais être La même à cela près que je ne te rencontrerai peut-être jamais Tu fais semblant de ne pas savoir que je t’observe Merveilleusement je ne suis plus sûr que tu le sais Ton désœuvrement m’emplit les yeux de larmes Une nuée d’interprétations entoure chacun de tes gestes C’est une chasse à la miellée Il y a des rocking-chairs sur un pont il y a des branchages qui risquent de t’égratigner dans la forét Il y a dans une vitrine rue Notre-Dame-de-Lorette Deux belles jambes croisées prises dans de hauts bas Qui s'évasent au centre d’un grand trèfle blanc Il y a une échelle de soie déroulée sur le lierre Il y a Qu’à me pencher sue le précipice De la fusion sans espoir de ta présence et de ton absence J’ai trouvé le secret De t’aimer Toujours pour la première fois André Breton - Always for the first time Hardly do I know you by sight You return at some hour of the night to a house at an angle to my window A wholly imaginary house It is there that from one second to the next In the inviolate darkness I anticipate once more the fascinating rift occurring The one and only rift In the facade and in my heart The closer I come to you In reality The more the key sings at the door of the unknown room Where you appear alone before me At first you coalesce entirely with the brightness The elusive angle of a curtain It's a field of jasmine I gazed upon at dawn on a road in the vicinity of Grasse With the diagonal slant of its girls picking Behind them the dark falling wing of the plants stripped bare Before them a T-square of dazzling light The curtain invisibly raised In a frenzy all the flowers swarm back in It is you at grips with that too long hour never dim enough until sleep You as though you could be The same except that I shall perhaps never meet you You pretend not to know I am watching you Marvelously I am no longer sure you know You idleness brings tears to my eyes A swarm of interpretations surrounds each of your gestures It's a honeydew hunt There are rocking chairs on a deck there are branches that may well scratch you in the forest There are in a shop window in the rue Notre-Dame-de-Lorette Two lovely crossed legs caught in long stockings Flaring out in the center of a great white clover There is a silken ladder rolled out over the ivy There is By my leaning over the precipice Of your presence and your absence in hopeless fusion My finding the secret Of loving you Always for the first time André Breton |