Carrefour et Brut font leur marché ensemble
Brut et Carrefour annonçaient cette semaine
la naissance de Brut Shop, une « co-entreprise » dédiée au commerce social et au live shopping. Soit une redéfinition du «
télé-achat style TF1 2.0 »,
selon Lucas Maurice, consultant en innovation.
Un peu de contexte
Cousin germain, donc, du télé-achat, ce système de vente consiste à promouvoir des produits par le biais de vidéos, généralement diffusées en live sur les réseaux sociaux. Brut Shop vise la diffusion de 1 000 lives par an. «
Nous avons l'ambition de créer la plateforme de live shopping la plus puissante du marché français »,
explique Elodie Perthuisot, directrice exécutive e-commerce, date, transformation digitale de Carrefour.
Si le live shopping est un concept bien implanté en Chine – en témoigne le succès de Taobao Live, la plateforme de diffusion en direct de Taobao, l'un des sites e-commerce d'Alibaba –, la pratique reste à la traîne dans «
ce côté-ci du globe »,
constate Marie Dollé, l'éditrice de la newsletter In Bed With Tech.
Un mariage qui pose question
Ça, c'était pour le contexte. Côté réactions, l'accueil de ce partenariat entre un média et un leader de la grande distribution a été... disons... mitigé, particulièrement chez les journalistes.
Les griefs retenus ? Un procédé qui entretient la confusion chez les jeunes internautes : «
La pratique est dérangeante déontologiquement et continue à brouiller les frontières entre journalisme, commerce et divertissement, »
s'agace Anthony Georges, journaliste à la Voix de l'Ain. Le pire ? «
C'est que Brut a un public particulièrement jeune »
. Il est vrai que le communiqué insiste sur
la capacité du pure player à toucher 100 % du public 18-34 ans. Sentiment partagé par le journaliste d'Arrêt sur image, Loris Guémart : «
Un média comme Brut est une porte d'entrée majeure pour les jeunes vers le journalisme : et après, ça va se lamenter sur l'absence de confiance envers les médias. »
Pour Julien H., de l'agence Ab Initio, le projet, centré sur la consommation est tout sauf vertueux : «
C'est mal barré, la sobriété. En tout cas, la seule qui va cartonner avec le réchauffement climatique, c'est Justine qui pourra toujours vendre ses déodorants », ironise-t-il, faisant référence à Justine Hutteau, fondatrice et égérie de la marque de cosmétiques Respire. L'année dernière, Guillaume Lacroix, co-fondateur et CEO de Brut, avait indiqué
avoir généré des ventes pour « 200 000 euros de déos », à la suite de vidéos avec Justine Hutteau.
Un projet entrepreneurial
Pour l'expert des contenus Xavier Degraux, il n'y a rien de nouveau sous le soleil des médias. Brut, à la différence d'autres acteurs, a constamment assumé ce mélange des genres : «
Le modèle de Brut a toujours été assez poreux au niveau commercial, il n'y a jamais eu d'état d'âme par rapport à tout ça. Est-ce qu'on peut dire que Brut est un média purement journalistique ? Non, mais plus beaucoup de médias le sont »,
explique-t-il dans une interview donnée à RTBF, «
ici, il ne s'agit pas de colmater les brèches d'un bateau qui prend l'eau à gauche et à droite, il s'agit d'un projet entrepreneurial », poursuit-il.
Même son de cloche chez le journaliste Damien Van Achter : «
Brut prend un risque en le faisant, mais c'est le lot de tous les entrepreneurs : prendre des risques et les assumer derrière. Le contrat qui vient de passer est très transparent : le juge de paix, ce sera le public. » Le 19 mai dernier,
lors d'une conférence organisée par le magazine Stratégies, Guillaume Lacroix évoquait déjà sa vision de la convergence entre médias et commerces dans les prochaines années : «
la vision traditionnelle, c'est les médias d'un côté et le commerce de l'autre. On voit bien qu'elle a complètement explosé en Chine. »
Et d'ajouter : «
Il n'y a aucune raison pour que Carrefour ne devienne pas le média majeur de l'information sur l'alimentation. J'imagine que ça va faire hurler des journalistes ». Ben, apparemment oui.
Si le sujet vous intéresse, ne ratez pas notre discussion en live jeudi 10 à 12h avec Olivier Garcia, directeur e-commerce non alimentaire chez Carrefour.