La visite nous prit entre 15 et 20 minutes et nous nous retrouvâmes à lâaccueil à attendre que la pluie se calme un peu, en face de la conservatrice qui se tenait au centre dâun kiosque.
  « Mais quâest-ce qui sâest passé dans la tête de celui qui a pensé proposer aux visiteurs dâun château qui date de 1450 des mugs Pantone à 47 ⬠le mug, me demandais-je tout en allant regarder la pluie qui nâavait pas lâair de vouloir se calmer à travers une baie vitrée ? Et quel genre dâindividu est prêt à mettre 47 ⬠pour acheter un tel truc ? »
  Et, alors que jâallais poursuivre mes interrogations solitaires sur ces questions, jâentendis Philipe sâexclamer : « Ah, non, pas vraiment, on ne peut pas dire que cela soit une réussite (pourtant je nâavais fait aucun commentaire sur lâabsence totale dâhologrammes dans les pièces que nous avions visitées) ! Il nây a plus rien, ce château a été saccagé » terminait-il face au regard éberlué de la conservatrice du lieu qui avait sans doute eu le tort de lui demander ce quâil pensait de sa visiteâ¦
  Je mâapprochai discrètement en me disant que cela devenait intéressant. Me voyant arriver vers eux, la conservatrice choisit de sâadresser à moi (qui nâavais rien demandé à personne et qui attendait sagement que le pluie cesse de tomber, afin que nous puissions regagner la voiture de Philippe en étant le plus sec possible) : « Il y a un choix artistique, ce château est le premier qui a été construit en France dans le style qui sera celui de la Renaissance 50 ans plus tard, sa construction est dâavant-garde pour son époque, tout comme aujourdâhui il est dâavant-garde, il nous montre le monde contemporain vu par les artistesâ¦Â »
  - Par certains artistes la coupa sèchement Philippeâ¦
  - Si vous voulez⦠répondit-elle.
  - Ce nâest pas si je veux, je connais des artistes vivants qui ne voient pas le monde comme des pièces peintes à la chaux vive et au milieu desquelles on trouve des objets dont personne ne voudrait dans sa maisonâ¦
  La conservatrice que je trouvais fort sympathique et plutôt élégante
  La conservatrice, que je trouvais fort sympathique et plutôt élégante, me regarda de nouveau en affichant un timide sourire que je pris comme un appel à lâaide.
  Pensant détendre lâatmosphère sans parler pour autant de la pluie, je glissai :
  - Câest donc une exposition dâartistes contemporains qui nous offrent leur vision du mondeâ¦
  - Tu parles dâune vision du monde, renchérit Philippe... Et la vidéo du PD qui raconte on ne sait quoi en anglais en étant maquillé et en portant un soutien-gorge, câest votre monde ? (Philippe faisait référence à une vidéo projetée dans une des salles).
  Là , jâai cru que la conservatrice allait faire un infarctus, mais pas du tout : « On ne dit pas PD, on dit travesti », rétorqua-t-elle, aimablement, en se tournant en souriant vers Philippeâ¦
  - Si vous voulez, répondit-il à son tour. En fait, je découvre quâil y a un temple du wokisme à deux pas de chez-moi, ici, dans un château de 1450, câest la victoire du mondialisme et on va bientôt être obligé de manger des insectes et de boire du lait de cafardâ¦
  « Temple du wokisme ⦠victoire du mondialisme, insectes, lait de cafard »⦠Je lâai toujours pensé, il ne faut jamais faire le malin avec les facteurs. Comme tous les gens avertis, ils sont bien plus cultivés quâils ne laissent paraître, et câest quelque peu ébahi que je le regardai tout en me demandant ce quâil allait bien pouvoir sortir ensuite.
  Mais câest la charmante conservatrice qui reprit la parole : « Nous ne sommes pas des scientifiques, ici câest un musée dâart contemporain, ce nâest pas un laboratoire universitaire qui traite de cette nouvelle science »â¦
  « Ce nâest pas retour vers le futur que nous sommes en train de vivre »
  Là , je me dis quâon atteignait le grandiose. Jâavais envie dâintervenir, mais je ne trouvais pas les mots.
  Philippe les trouva, lui (quand je vous dis quâil ne faut jamais faire le malin avec les facteurs), et sur un ton doucereux, il questionna :
  « Excusez-moi, et tout à fait cordialement, vous venez de dire que le wokisme est une science ? Comme les mathématiques ? »
  - Oui, câest une science, une science sociale, mise au point par de grands universitaires et des chercheurs, mais nous sommes un musée, pas une universitéâ¦
  Lâarrêt de la pluie sonna le gong du départ, et cette fois je trouvai les bons mots (que les facteurs se le disent) :
  - Câest vraiment très intéressant, mais il se fait tard Philippe, profitons de lâaccalmie pour regagner ta voiture au secâ¦
  Me tournant vers la ravissante conservatrice, jâajoutai :
  « Je vous souhaite une très bonne soirée, madame, et un excellent passage à la nouvelle annéeâ¦Â »
â
  à peine dehors, Philippe lança :
  « Le wokisme une science comme les mathématiques, on est mal barrés, jâai bien fait de prendre ma retraite, je vais me tirer de ce pays⦠Le wokisme une scienceâ¦Â »
  Jâajoutai : « une science mise au point par des fonctionnaires qui auraient également fait une brillante carrière dans lâAllemagne des années 1930â¦, les mêmes qui ont théorisé les théories raciales et la supériorité aryenne ».
  - Tu as raison, ce nâest pas retour vers le futur que nous sommes en train de vivre, mais le retour du nazisme pur et dur maquillé en wokisme et en Nouvel ordre mondial, conclut Philippe, jeune retraité de la poste non injecté.
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  Le château de Montsoreau
  Le château de Montsoreau fut construit en 1450 ; situé sur la commune de Montsoreau, il est présenté comme étant de style gothique et Renaissance.
  Classé « monument historique » en 1862, il est situé sur le territoire inscrit au patrimoine mondial de lâhumanité par lâUNESCO (Val de Loire entre Sully-sur-Loire et Chalonnes-sur-Loire).
  En 2016, il a été transformé en musée « dâart contemporain » (ce que je ne savais pas lors de la visite) et il se compose dâune succession de pièces sans aucune âme et aux murs peints à la chaux vive.
  Dans Gargantua (écrit en 1534) de François Rabelais (1494-1553), Gargantua offre le château de Montsoreau en récompense pour sa vaillance à son capitaine, le dénommé Ithybole.
  Signalons une aquarelle exposée à Oxford de Joseph Mallord William Turner (The Ashmolean Museum) et dans laquelle on devine la présence du château dans une vue de la confluence entre le Loire et la Vienne (région appelée « le bec de Vienne »).
  Le visiteur ne pourra pas admirer la moindre trace du long passé de ce château : nul mobilier, nulle tenture, nulle boiserie, nul vestige de près de 6 siècles dâexistence ne lui sont présentés.
  Seuls des murs blancs, aseptisés et dâun hygiénisme inquiétant encadrent des objets dont on se demande sâils ne sortent pas dâune cave de fumeurs de joints le Monde avec un stock de neurones limité et fatigués.