Quand Emmanuel Macron, en 2018, a évoqué les « Gaulois réfractaires », je n’ai pas trop compris la polémique qui a suivi. Pour moi, être réfractaire, ce n’est pas un défaut, mais plutôt une caractéristique : on ne se laisse pas facilement embêter. Et je ne déteste pas l’idée qu’au-delà de nos origines, milieux, couleurs de peau, on ait tous ça en commun, cette caboche dure. J’aime bien râler, quitte à passer vite à autre chose après. J’aime bien aussi m’engueuler avec des gens, sur des sujets idiots, juste pour le plaisir de la joute (vous imaginez, les polémiques pain au chocolat/chocolatine ou œuf coque présenté gros bout/petit bout en haut, ailleurs que chez nous ? Mettons, aux Pays-bas ?)
Les moments où je me sens le plus française, c’est sûrement quand je lis la presse étrangère. Pour mon boulot, je suis obligée de me tartiner pas mal de journaux pas toujours rigolos, mais il y a « The Ethicist » cette rubrique dans le « New York Times » que je ne rate jamais, tant elle me paraît symptomatique d’un pays qui n’est pas le mien. Il s’agit de résoudre les problèmes d’éthique que se posent les lecteurs. Chaque semaine, un journaliste et philosophe, Kwame Anthony Appiah, répond longuement, avec un premier degré à la fois impeccable et déroutant, à des questions allant de « Dois-je virer ma baby sitter non vaccinée contre le Covid ?» à « Je n’ai pas envie de donner un rein à mon méchant frère, suis-je une ordure ?». Déjà, en France, une telle rubrique ferait sûrement un flop, la morale étant vécue comme une chose individuelle et intime (Vous vous voyez écrire à ELLE : « Je couche avec le mari de ma meilleure amie, est-ce que ça fait de moi une salope ? » Réponse du Dr Aga : « Ben, ouais. »)
Cette semaine, l’humour involontaire de « The Ethicist » a fait ma joie. Une première lectrice se plaignait d’avoir une voisine à la retraite accro au jardinage qui vient chez elle bichonner sa pelouse en douce. Une intrusion insupportable, se désolait-elle. (Et moi, me disant qu’aucun Français, jamais, ne se plaindrait que quelqu’un vienne gratuitement tondre chez lui en son absence). Autre sujet, celui d’une maman dont la fille de 15 ans lui avait appris qu’elle couchait avec sa meilleure amie. Devait-elle prévenir la mère de l’autre adolescente ? Alors qu’en moi rugissait un gigantesque « Surtout pas ! Foutez-leur la paix !», j’ai lu la réponse de mon confrère, tout en circonvolutions « C’est vrai qu’elles sont mineures, les parents ont le droit de savoir etc etc». Bref, entre l’Amérique et moi, j’ai senti cet océan qui n’est pas que liquide. Et je me suis sentie pire que française : fière de l’être !
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