« Il sent sur ses doigts l’odeur de la mère de l’enfant. Dans la pénombre de sa cuisine, ses pupilles se dilatent. L’horloge du four indique 12:03. Sa poitrine. Il se sent oppressé. Est-ce qu’il est en train de faire une crise cardiaque ? Est-ce que c’est à ça que ressemble une crise cardiaque ? Il faut qu’il bouge. Il parcourt le plancher de chêne blanc et effleure des objets, la manette du grille-pain ; la poignée en inox du frigo ; les bananes odorantes qui ramollissent dans la coupelle de fruits. Il cherche quelque chose de familier à quoi se rattacher. Quelque chose qui le ramène à la réalité.
Une douche. Il faut qu’il prenne une douche. Il gravit les marches comme un petit enfant. Dans la salle de bains, il détourne son regard du miroir. Sa peau le démange. Il frotte. Il croit entendre des sirènes. Est-ce que ce sont des sirènes ? Il tire d’un coup sec pour ouvrir la douche et écoute. Rien.
Dans son lit, il devrait être dans son lit. C’est là qu’il serait s’il ne s’était rien passé. Si c’était un simple mercredi soir de juin. Il se sèche et replace la serviette sur le crochet de la porte où elle est toujours pendue. Il tripote le tissu-éponge, en ordonne les ondulations comme s’il mettait en scène une vitrine de grand magasin, ses mains tremblant d’une peur inhabituelle.
Son téléphone. Il se déplace sans un bruit à travers la maison plongée dans l’obscurité pour retrouver l’endroit où il l’a laissé – le banc, le plan de travail de la cuisine, la table près de l’escalier. Dans la poche de son manteau, c’est là qu’il se trouve, sur le sol devant la porte du jardin, là où il l’a fait tomber en entrant dans la maison. Il remonte à l’étage avec son portable, les jambes encore flageolantes, et s’arrête net devant la porte de leur chambre. Il ne peut pas aller là.
Il va dormir dans la chambre d’amis. Il s’allonge lentement sur le lit double, remarquant le soin avec lequel les draps ont été lissés et bordés, et il pose le téléphone à côté de lui. Il ressent un besoin douloureux de lui passer un coup de fil. Pour lui dire quoi ? Qu’elle lui manque ? Qu’il a besoin d’elle ? C’est trop tard.
Il fixe quand même le téléphone, il s’imagine entendre le rythme de la sonnerie, en attendant qu’elle décroche. Et puis il ferme les yeux et il revoit l’enfant. Un peu plus tard, il sent le matelas trembler. Quelqu’un l’a rejoint dans le lit. Il attend de sentir un contact. Mais non, c’est une vibration. Et ça recommence. Puis encore. Un filet de lumière orange perce la pièce. Il fait glisser son pouce sur le reflet de son visage fatigué sur l’écran pour répondre.
Il reconnaît le ton affligé de sa voix. Il l’a déjà entendu avant. « Quelque chose de terrible est arrivé », dit-elle. »
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