| Autour des éditions du Pavillon de l'Arsenal
Lieux sacrés À l’occasion du lancement de l'exposition Lieux sacrés et la sortie du livre qui lui est consacré, le Pavillon de l'Arsenal donne la parole au journaliste et critique littéraire Léonard Desbrières. (Re)découvrez ce qui est sacré dans la ville à travers la pop culture et la littérature. |
| Lieux sacrés, Exposition créée par le Pavillon de l'Arsenal, Espace Notre-Dame, Paris, 2025 © 11H45 " Comment oublier la stupeur, l’effroi et la tristesse, cette paralysie inquiète qui pendant plusieurs heures, le 15 avril 2019, s’est emparée de la France entière, alors que les flammes étaient en train de consumer Notre-Dame ? On se souvient encore des dizaines de documentaires diffusés à la télévision pour raconter l’incendie et la reconstruction ; des fictions à grand spectacle inspirées par le drame, au premier rang desquels le film Notre-Dame brûle de Jean-Jacques Annaud et la série La Part du feu d’Olivier Bocquet et Hervé Admar ; ou encore des innombrables ouvrages publiés à cette occasion, de la réédition du classique de Victor Hugo à la déclaration d’amour de Sylvain Tesson Ô reine de douleur. On repense surtout à l’engouement suscité par la réouverture de la cathédrale et la cérémonie en grande pompe organisée le 7 décembre dernier par le chef de L’État avec autour de lui tout ce que le monde compte de puissants. C’est peu de dire que la destruction du monument religieux le plus emblématique de Paris a profondément marqué la France, comme si on venait soudainement de lui arracher une partie d’elle-même. Voilà donc un drôle de paradoxe à une époque où la croyance religieuse s’effrite. Si les Parisiens et plus largement les Français ne se ruent plus dans les Églises pour assister à la messe, ils tiennent encore plus que tout aux lieux majestueux qui les abritent car ils sont les emblèmes d’une histoire, d’une tradition mais aussi d’un paysage encore marqués par le catholicisme. |
| Notre-Dame Brûle, film réalisé par Jean-Jacques Annaud, 2022. D.R. Un constat qui donne à méditer et qui nous amène à repenser la question plus globale du sacré. Quelles sont les acceptions de ce terme riche, complexe, souvent dévoyé qui s’étend aux cultes du monde entier et dépasse le simple champ religieux ? Quels sont l’ensemble des lieux chargés de l’incarner ? Quelle est leur fonction dans la communauté ? De quelle manière s’intègrent-ils dans l’urbanisme ? Comment préserver le patrimoine tout en bâtissant un nouveau sacré ? C’est à toutes ces questions fondamentales, pour une ville comme pour une société, que Le Pavillon de l’Arsenal tente de répondre dans son exposition Lieux Sacrés et dans l’ouvrage chargé de l’accompagner. Comme un symbole, son commissaire scientifique Mathieu Lours, historien de l’architecture, spécialiste des monuments religieux, nous convie sous le parvis de Notre-Dame de Paris, jusqu’au 8 juin, pour une première hors-les-murs qui conjugue histoire, sociologie et architecture avec un seul mot d’ordre : « bâtir, célébrer, coexister ». |
| Aux racines du sacré religieux
À l’aide d’archives, de photographies contemporaines, de plans d’architectures et de dessins originaux grands formats signés par la talentueuse Aline Zalko, l’exposition dévoile un parcours historique détaillé qui rappelle que le sacré religieux façonne les quartiers parisiens depuis l’Antiquité. Reprenant ce principe immersif, le livre qui accompagne l’exposition nous convie à un voyage dans le temps. |
| Aline Zalko, Bâtir - Célébrer - Coexister, 2025, Crayon de couleur, encre et pastel sur papier On remonte ainsi jusqu’au Haut-Empire Romain où les premières pierres religieuses de Lutèce furent érigées selon la sacralisation des trois grandes formes environnementales : la montagne, l’eau et la forêt. Un principe édificateur auquel Clovis, premier roi des Francs, s’est tenu à la lettre en faisant construire en 508 l’Abbaye Saint-Geneviève (devenue aujourd’hui le lycée Henri IV) sur la montagne du même nom. Un premier emblème flamboyant du catholicisme inaugurant une course au gigantisme qui va traverser tout le Moyen-Âge et dont le symbole est le XIIème siècle, l’âge des grands bâtisseurs, l’avènement du style gothique monumental, magnifiquement raconté par le romancier Ken Follett dans Les Piliers de la Terre (1989) et symbolisé à Paris par l’Abbaye de Saint-Denis |
| Ken Follett, Les Piliers de la Terre, 1989. D.R. Cette folie des grandeurs va atteindre son apogée lors de l’Ancien Régime (1589-1789). Après la Réforme Catholique menée tout au long du XVIème siècle, la densité d’édifices religieux au sein de la capitale gagne alors un zénith qui ne sera plus jamais égalé. Et pour cause, l’heure de la Révolution française a sonné. Conjuguer Sacré et modernité
L’exposition imaginée par Mathieu Lours porte une attention particulière aux siècles récents parce qu’ils posent une question épineuse qui subsiste encore aujourd’hui : comment conjuguer sacré et modernité ? Elle souligne d’abord le rôle prépondérant joué par Le Second Empire puis la IIIème République dans la définition d’un nouveau sacré religieux architectural. La ville haussmannienne, érigée à partir de 1853, intègre à un plan d’urbanisme ultra-moderne, les joyaux historiques mais inaugure de grands chantiers religieux qui font encore la fierté de Paris comme La Basilique du Sacré Cœur de Montmartre (1875) ou La Grande Synagogue de Paris (1867), première pierre d’une ouverture aux autres religions. Le XXème siècle est quant à lui celui de l’ambiguïté et du paradoxe, entre ambition d’un nouveau gigantisme, nécessaire diversification religieuse et sécularisation irrémédiable de la société. Alors que la Loi de Séparation de l’Église et de L’État en 1905 rend plus difficile toute affirmation des cultes dans la ville, les moyens techniques mis à la disposition des architectes sont la promesse de formes et d’espaces inédits. De Notre-Dame de la Consolation au Raincy (1923) à la Cathédrale d’Evry imaginée en 1983 par Mario Botta, de La Grande Mosquée de Paris (1926) à La Pagode Khanh-Anh (1995), des édifices monumentaux voient le jour mêlant tradition et innovation architecturale pour continuer à servir les Dieux de tous les cultes. |
| Cathédrale de la Résurrection, Évry-Courcouronnes (91), Mario Botta, architecte, Association diocésaine d’Évry Corbeil-Essonnes, maître d’ouvrage, 1988-1995. © Pino Musi Mais ce sont les derniers accès d’une fièvre bâtisseuse incompatible avec une époque et une société où la foi n’occupe plus exactement la même place.Aujourd’hui, l’heure est à la fonctionnalité et les lieux sacrés parisiens sont pensés avant tout comme des lieux de rassemblement pratiques et modulables qui jouent autant un rôle de sociabilité que de transcendance. Refaire du lien, trouver un havre de paix dans un monde qui avance à toute vitesse : de nouvelles dynamiques et donc de nouveaux défis architecturaux que racontent dans le livre certains spécialistes au travers d’entretiens passionnants, répondant à une question simple : Comment construire une Église, une mosquée, une synagogue aujourd’hui ? Protéger et restaurer
Si dans le Grand Paris, le sacré continue à se bâtir, sous l’impulsion du dynamisme de certaines communautés religieuses, construire n’est plus vraiment le mot d’ordre dans la capitale où la place manque et les priorités diffèrent. Riche de son histoire, Paris a en effet reçu en héritage un patrimoine cultuel considérable, porteur de valeurs matérielles et spirituelles qu’il faut à tout prix protéger de l’usure du temps. À tout prix ? C’est la question de l’époque alors que le financement des restaurations est un casse-tête de plus en plus complexe. |
| Laurence Cossé, Le Mobilier National, 2001. D.R. En 2001 déjà, Laurence Cossé imaginait dans son roman Le Mobilier National, le plan fou imaginé par un directeur du Patrimoine au bout du rouleau, pour préserver le sacré à moindre coût. Sur les 170 cathédrales du pays, seules 70 devront rester debout. Une satire corrosive et absurde qui pointe à merveille le dilemme posé par la conservation des joyaux du sacré religieux : d’un côté les finances qui s’épuisent, de l’autre un attachement viscéral aux vieilles pierres. A travers cette exposition, Mathieu Lours nous montre justement que l’émotion d’une restauration dépasse le simple fait religieux mais touche à la fierté d’une identité, d’une appartenance à une ville, à un quartier. La spectaculaire opération de reconstruction de la tour nord et de la flèche de la Basilique Saint-Denis en est aujourd’hui la preuve éclairante. Sans aller jusque-là, d’autres solutions sont possibles pour préserver les lieux sacrés parisiens et certains emblèmes du religieux d’antan se réinventent en embrassant d’autres formes. Le Collège des Bernardins, joyau de l’architecture cistercienne au cœur de Paris est devenu un lieu culturel protéiforme accueillant formations, débats, séminaires de recherche et représentations artistiques. L’Abbaye des Vaux de Cernay dans les Yvelines a quant à elle été transformée en hôtel de luxe où des investissements privés ont garanti sa préservation. |
| D’autres formes de sacré
Si l’exposition et le livre qui l’accompagne se concentrent en grande partie sur le sacré religieux, ils réaffirment l’existence d’autres formes du sacré tout aussi légitimes qui répondent elle-aussi à une définition commune du terme soit l’ensemble des valeurs et des croyances que partage une communauté, qui les célèbre lors de rites institutionnalisés dans des lieux dédiés. En fil rouge de l’exposition, Mathieu Lours ne cesse de mettre en contrepoint un culte qui s’est développé à partir de la Révolution et qui a grandi en parallèle du religieux, comme l’autre face d’une même pièce : ce qu’on pourrait appeler la gloire de la nation. Les lieux sacrés parisiens, ce sont aussi toute une série de monuments dédiés à la France, à son histoire politique et à ses combats pour devenir la République qu’elle est aujourd’hui. Symboles ultimes de ce sacré national : L’Arc de Triomphe et surtout le Panthéon, bâti en tant qu’Église et devenu le tombeau grandiose des héros républicains sur lequel s’affiche en lettres majuscules : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». Voir Voltaire, le plus anticlérical des écrivains, l’adversaire le plus féroce des dévots, reposer dans la nécropole d’un édifice religieux historique pour services rendus à la République a quelque chose de magnifiquement français. |
| Richard Malka, Après Dieu, 2025. D.R. Un paradoxe qui sert d’ailleurs de point de départ à l’essai passionnant de Richard Malka, Après Dieu, publié au début de l’année dans la collection Ma Nuit au Musée, connue pour inviter des écrivains à passer la nuit dans un monument de leur choix. Ce dernier profite d’une visite nocturne au Panthéon pour discuter avec Voltaire de sacré et de religion. Un bijou qui invite à la réflexion. Dans un même élan que la glorification de la nation, un autre sacré correspond à la fabrication d’une mémoire collective. Célébrer les grands hommes et les dates fondatrices qui jalonnent notre histoire. Commémorer les drames qui nous ont marqués au fer rouge. Les cimetières parisiens où l’on vient se recueillir auprès des grandes figures françaises, le Mémorial de la Shoah et des Martyrs de la déportation, Le Mont Valérien où se dresse le Mémorial de La France Combattante, on ne compte plus les monuments sacrés pour se souvenir, du meilleur comme du pire. |
| BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, PARIS 13E, DOMINIQUE PZERRAULT, ARCHITECTE, MINISTÈRE DE LA CULTURE, SECRÉTARIAT D’ÉTAT AUX GRANDS TRAVAUX/ ÉTABLISSEMENT PUBLIC DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, MAÎTRE D’OUVRAGE © DPA/ ADAGP, PARIS, 2025 - PHOTO ÉRIC SEMPÉ Autre forme de sacrée tournée cette fois vers le futur : le sacre de la nature. Dans un monde qui tente de redéfinir son lien avec le vivant pour préserver la planète, la ville est un enjeu écologique de premier plan. Un océan de béton qui cherche à sanctifier ses îlots de verdure. De la forêt qui a repris ses droits au cœur de la BNF, temple du savoir, aux pyramides qui se dressent dans le Parc Monceau, auquel rend hommage Jacques Tardi dans Adèle Blanc-Sec, la cause environnementale s’affiche comme une autre transcendance qui fédère aujourd’hui de plus en plus d’adeptes. Au point de devenir le grand sacré de demain ? Enfin, pourquoi ne pas élargir le spectre à des domaines autrement plus futiles mais tout aussi importants. Le sport et l’art ont, eux aussi, leurs lieux sacrés. Le Stade de France où l’équipe nationale de Football a soulevé la Coupe du monde 1998, devant 80 000 personnes en liesse et 21 millions de téléspectateurs à travers le pays, Le Louvre, musée le plus visité au monde avec presque 10 millions de visiteurs par an sont autant de monuments qui invitent à la communion des êtres. |
| Installation de Christian Boltanski à l’occasion du Jeudi saint, église Saint-Eustache, Paris 1er, 1994 © MONSIEUR GAUTHRON / ÉGLISE SAINT-EUSTACHE / CHRISTIAN BOLTANSKI / ADAGP, PARIS, 2025 Comme un symbole, le religieux et l’artistique entrent d’ailleurs souvent en résonance dans des lieux sacrés métamorphosés. En 1994, dans l’Église Saint-Eustache, Christophe Boltanski imaginait par exemple, Sacred Space, une œuvre artistique hybride associant passion du Christ, souvenir des génocides et actualité de la guerre. Des ponts s’érigent entre les transcendances, illustrant l’objet même de cette exposition : rappeler aujourd’hui que le sacré n’est pas là pour diviser mais au contraire pour rassembler. Que ce n’est pas un mur bâti entre les croyances et les modes de pensée. Les lieux sacrés sont les marqueurs d’une vieille et grande cité qui a forgé son identité en embrassant sa richesse culturelle, religieuse et sa diversité. Sacré Paris ! " |
| Léonard Desbrières Journaliste et critique pour Le Parisien, LiRE, Konbini et Technikart, passé par La Grande Librairie, Léonard Desbrières se passionne pour les littératures de l'Imaginaire et s'intéresse à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain. Découvrez Lieux sacrés et toutes les éditions du Pavillon de l’Arsenal en cliquant ici En partenariat avec |
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