« Ginny ne sait pas vraiment ce qui est arrivé en premier : la mauvaise habitude, ou le mec.
Ils sont apparus presque simultanément, comme deux trains qui arrivent en gare, de directions opposées. Et quand ils sont repartis, l’un a mis bien plus de temps à quitter le quai que l’autre.
De loin, ils semblent n’avoir aucun rapport – l’un est un être humain, l’autre, un défaut – mais au fond, ils sont engendrés par la même chose : de mauvaises représentations de l’amour. La première, par la mauvaise façon d’aimer quelqu’un, la seconde, par la mauvaise façon de s’aimer soi-même.
Elle n’avait pas fait exprès de devenir boulimique. Qui peut souhaiter ça ? Qui fait exprès de souffrir d’une maladie mentale ? Pas elle, en tout cas. C’est arrivé, c’est tout. Exactement comme avec Finch… petit à petit, elle est tombée dans quelque chose de toxique, de dangereux, et avant qu’elle ait pu s’en rendre compte, il était déjà trop tard.
Adrian se souvient du moment précis où il a décidé de ne pas tomber amoureux.
Il avait onze ans. Sa mère n’avait pas arrêté de pleurer pendant une semaine. Il n’avait pas très bien compris ce qui s’était passé entre Scott et elle. En fait, il lui faudrait des années avant de saisir l’ampleur de la trahison de son beau-père.
Il avait monté l’étroit escalier de leur nouvelle maison à Indianapolis, un duplex qu’ils partageaient avec un couple aux yeux vitreux et aux étranges cicatrices sur le visage, un bol de porridge dans une main, une tasse de café dans l’autre. Sa mère ne voulait pas manger, mais il devait quand même essayer.
Il avait entrouvert la porte de sa chambre. À l’intérieur, elle était recroquevillée, la tête dans l’oreiller. Même à demi consciente, elle avait l’air malheureuse. Les sourcils froncés. Les paupières gonflées. Ses lèvres bougeaient en silence, comme si elle priait.
Il avait posé le bol et la tasse sur la table de chevet.
Je ne veux pas de ça, avait-il pensé. Je ne veux pas de ça, et je n’en voudrai jamais. » |