Courte digression sur la pensée d’Edgar Morin… et si vous ralentissiez les embauches d’experts !
Je lis ici et là les articles et commentaires des écrits de ce centenaire à la plume brillante, qui ne cesse de solliciter notre intelligence pour appréhender la complexité.
La complexité a une caractéristique dérangeante pour notre société dirigée par une foule d’experts : elle ne se résout pas.
Comment faire évoluer nos systèmes de gouvernances d’entreprise avec une telle assertion : « chers collaborateurs, nous ne sommes pas là pour résoudre une équation, mais pour apprendre à vivre confortablement dans un inconfort grandissant ».
Bien sur, il y a de multiples petits problèmes à résoudre et il faut le faire. Ce sont souvent des défis élémentaires pour lesquels le passage à l’action immédiate est simple : on prend tous un balai (y compris le chef) et on nettoie ce chantier ensemble avant de remettre les clés au client (exemple inspiré d’un coaching récent).
J’en viens à mon point : dans les annonces d’embauche, le mot « expert » est utilisé à toutes les sauces. Or, non seulement ce mot excite l’ego et fait croire à son détenteur qu’il a raison (alors que souvent il ne voit qu’une partie infime du problème), mais en plus il compartimente, verticalise, crée des silos.
Dans les entreprises, il y a un manque de profils non-techniques, non-experts. Recrutez donc davantage de responsables ayant le sens de l’histoire (leçons), de la philosophie (sagesse), de l’art (imagination), des ponts à créer (intelligence collective), de la psychologie (écoute), toutes ces notions illisibles dans un CV moderne.
Les palabres d’experts suivent les palabres d’experts qui se jettent à la figure des chiffres que peu de gens ont les moyens de vérifier. Pendant ce temps-là, l’action efficace s’effiloche.
Je lis la vision du leadership décrite par Kissinger, un autre centenaire, sur l'action de quelques leaders du 20ème siècle. J’en retiens que pour faire revenir l’Allemagne dans le concert des nations, Adenauer a pris une posture d’humilité, quand pour faire sortir la France de ses égarements colonialistes, de Gaulle prenait celle « d’incarner la France » (tout le contraire de la posture humble).
Et si vous décidiez d’embaucher moins d’experts et davantage de personnes dont les cultures de vie vont aider votre entreprise à traverser la complexité. Existe-t-il des profils moins caricaturaux que ceux de l’expertise, des profils plus profonds, avec un sens aiguisé de l’intérêt général, qui seront très utiles pour créer les ponts dont la complexité a besoin (plus de synapses entre les neurones) ?