L’impensable est arrivé. Le rebelote existentiel. Le vote qui ne se termine jamais, qui oppose deux camps, deux clans, les Gaulois contre les Gaulois, les irréductibles face aux irréductibles. Quatorze tours de scrutin, comme l’année dernière. C’est long, quatorze tours, pour en arriver à Andrea. Ça ressemble à ces couloirs dans les appartements parisiens construits sous Haussmann. La chambre de bonne, comme le Goncourt, c’est toujours au bout du bout. Ça veut d’abord dire qu’on n’est pas sorti de l’auberge. Pour l’histoire du conflit, on pourra se reporter à la série « Le Goncourt à feu et à sang ». Les deux clans se sont reformés, inexorablement, mathématiquement, quoiqu’en disent les jurés et leur président. C’était pourtant un signe fort à donner, signe que le jury Goncourt n’était pas au bord de la scission. Deux tours et on emballait l’affaire. Mais non. On est toujours dans le dur d’un storytelling à l’ukrainienne. A la décharge des jurés, il faut bien reconnaître que la production de l’année n’était pas merveilleuse. A l’issue de la première liste, on sentait bien, à écouter Tahar Ben Jelloun, qu’il manquait un grand roman à cette rentrée. Quand on vous dit que ce ne sont pas les très bons livres qui manquent, la première chose que vous avez envie de faire, c’est de chercher une bonne série sur Netflix. Le choix du jury ne signifie pas que les petits éditeurs auront de plus en plus leur part du gâteau. C’est seulement qu’il a manqué à Gallimard le livre pour l’emporter. Pourtant très présent sur la première liste, l’éditeur s’est retrouvé dans la plus mauvaise situation possible : aller au combat avec un livre (Reinhardt) qui n’avait pas réussi à trouver sa place, ni à faire l’unanimité. Andrea, face à lui, bénéficiait au moins du soutien des libraires. Et puis Andrea incarne une littérature de l’imaginaire que, dès le mois de septembre, Tahar Ben Jelloun disait vouloir couronner. N’avait-on assez lu, dans la presse, que Brigitte Giraud, lauréate l’année dernière, avait plombé le prix avec sa littérature de l’intime ? Que les écrivains en prennent de la graine : les deuils impossibles, les tragédies remâchées comme un Malabar noir, c’est fini. On veut de l’amour, on veut de l’Italie. Ce Goncourt laisse donc un goût doux-amer, que l’on ressentait chez Drouant à en croire Amandine Schmitt. Prochaine confrontation l’année prochaine pour la réélection du bureau. Avec la question qui fâche : qui sera le prochain président ? Didier Jacob |