« AngelikaCassel, 23 avril 1956
Le soleil était suspendu à mi-chemin entre la coupole du pavillon et le haut bosquet, à l’ouest. Des rubans de nuages diffus s’étaient fixés à sa droite et à sa gauche. Dans quelques minutes, l’astre solaire disparaîtrait derrière l’aile ouest à moitié détruite de l’Orangerie.
— Pourquoi est-ce que le soleil a l’air tellement plus gros et plus proche de la Terre le soir que pendant la journée ? demanda Angelika.
Étendue dans l’herbe à côté de son amie, sa veste pliée sous la tête, elle avait formé un rectangle du bout des doigts. Face à elles s’étendait la symétrie du parc. Elle ferma un œil et ne bougea plus, comme si elle attendait quelque chose.
— C’est une illusion d’optique, répondit Irmgard sans se détourner de son magazine.
Elle était allongée sur le ventre, jambes repliées.
— M. Pfeiffer a expliqué que ça venait du rapport avec les objets qui se trouvent à l’horizon, auxquels le regard se réfère. À cause de la comparaison directe avec les arbres ou les immeubles, le soleil nous paraît plus gros, mais c’est seulement…
Irmgard s’interrompit en remarquant qu’Angelika venait de se crisper. Elle referma son illustré et roula sur le dos.
M. Pfeiffer était à la fois le directeur du collège, leur professeur de physique et leur ennemi attitré. Elles lui attribuaient tous les défauts de leurs romans et revues bon marché. Il n’éveillait en elles que peur et sentiment d’impuissance, davantage encore chez Angelika que chez son amie. Irmgard était nettement plus douée à l’école, et surtout moins rebelle. Elle ne séchait pas les cours, différence majeure entre les deux jeunes filles.
— Bah, peu importe ! lança Angelika avec une insouciance forcée. » |