L'ère des "voix individuelles" ?
Evan Williams ne croit plus au potentiel de ses « magazines » en ligne. Le CEO de Medium et cofondateur de Twitter, souhaite réduire le budget dédié aux publications de Medium et réorienter les ressources vers le soutien aux « voix individuelles ».
Un énième revirement depuis la création de la plateforme de blog en 2012, dont l'objectif initial était de construire
« un nouveau modèle de média sur internet ». Ces annonces se traduisent par le départ de la cheffe éditoriale Siobhan O'Connor et la possibilité pour tous les employés de la rédaction de quitter cette
« folle aventure », avec un petit cadeau de départ : cinq mois d'indemnités de licenciement et six mois de soins de santé. Trop sympa.
Pourtant, l'entreprise a vu son nombre d'abonnés payants passer de 400 000 en 2019,
selon Axios, à 725 000. « Ce qui lui permettrait d'envisager un chiffre d'affaires de plus de 35 millions de dollars, soit une somme saine pour une entreprise de médias »,
met en perspective The Verge. Rappelons qu'en 2019, Medium lançait sept magazines en ligne (en neuf mois) avec une équipe dédiée d'environ 80 personnes. Des reportages de grande qualité ont aussi vu le jour, notamment dans OneZero, une publication technologique et scientifique lancée par Medium.
Le journaliste Matt Stroud y révélait le passé nazi d'un PDG d'une entreprise technologique soutenue par SoftBank. Des révélations suivies par le départ du principal concerné. « Le deal était que nous pouvions développer ces marques, qu'elles développeraient un public fidèle qui ferait croître la base globale des abonnés Medium. Ce qui s'est passé, cependant, c'est que le nombre d'abonnés à Medium a continué de croître alors que le public de nos publications n'a pas augmenté », justifie Evan Williams dans
un post très vague.
Miser sur l'individu plutôt que le médiaLa mission semble désormais d'identifier les auteurs, qu'ils soient déjà sur Medium ou non – et leur proposer des offres, un soutien, des révisions et des commentaires pour les aider à raconter des histoires et à trouver leur public.
« Je pense qu'un facteur important est que le rôle des publications – dans le monde et pas seulement sur Medium – a diminué dans l'ère moderne, argue Evan Williams. La confiance est plus importante que jamais et les marques éditoriales bien établies ont encore un sens. Mais aujourd'hui, la crédibilité et l'affinité sont principalement construites par des personnes – des voix individuelles –, plutôt que par des marques. » Ouch !
On peut penser que Medium va donc poursuivre le développement de ses deux programmes d'accompagnement et de soutien, Amplify et Hopscotch.
Ce discours est calqué sur la stratégie de Substack qui consiste à trouver des poulains à fort potentiel (et grosse communauté) et à les aider à monétiser leurs contenus à travers des newsletters par abonnement. Reste que les avances versées par Medium semblent être nettement inférieures à celles offertes par Substack : Susan Orlean du New Yorker, encouragée à publier régulièrement sur Medium, reçoit 25 000 dollars pour écrire de temps en temps sur la plateforme, contre les 250 000 dollars que Substack a donnés à Matt Yglesias et à d'autres privilégiés,
rapporte Casey Newton.
Miroir aux alouettes ?Aujourd'hui, le marché est tel qu'un grand nombre de consommateurs, « qui ne sont pas prêts à payer 5 dollars par mois pour soutenir le travail de dizaines de journalistes dans une seule publication (...), sont prêts à en débourser 8 pour parrainer un seul blogueur »,
observe le journaliste Eric Levitz. Ce pivot témoigne de l'intérêt croissant pour les « médias relationnels », c'est-à-dire les relations individuelles entre lecteurs et écrivains, médiatisées par les plateformes. Et cela implique des conséquences importantes : les commentateurs quotidiens « accros aux médias sociaux » sont plus susceptibles de cultiver des « fandoms fidèles » que les journalistes d'investigation ou les reporters politiques – « et pourtant, le travail de ces derniers est généralement plus indispensable à la fonction civique du journalisme »...
Les succès de certains journalistes sur Substack font également miroiter un avenir rentable pour une profession décimée par les coupes budgétaires, les licenciements successifs et des salaires ridicules. Si un groupe de journalistes superstars de Substack Pro bénéficient de ressources suffisantes pour écrire à plein temps, « tous les autres membres de Substack doivent le faire gratuitement jusqu'à ce qu'ils parviennent à se constituer une base d'abonnés payants. De façon réaliste, presque personne n'y parviendra », conclut Eric Levitz. Optimiste !