« C’est une honte ! » a répété Gabriel Attal à plusieurs reprises devant les recteurs convoqués en urgence au ministère après la diffusion d’une enquête sur BFM-TV. Nos confrères y ont révélé les courriers reçus par la famille du jeune Nicolas, qui s’est suicidé le 6 septembre dernier à l’âge de 15 ans. Entré en classe de troisième dans le lycée professionnel Adrienne-Bolland à Poissy, cet adolescent y a été victime de harcèlement scolaire durant plusieurs mois. Ses parents ont bien tenté d’alerter le proviseur de l’établissement, puis le rectorat sur le sort de leur fils mais sans aucun résultat. Et le 4 mai 2023, le pôle Versailles du service inter-académique des affaires juridiques, leur a écrit une lettre qui ne mâche pas ses mots pour leur reprocher vertement ces démarches : « Il a été porté à ma connaissance que vous avez mis en cause et menacé de dépôt de plainte le personnel de direction » ; « vous avez reproché à ce dernier sa passivité face à un supposé harcèlement subi par votre enfant ». Ce courrier enjoint même les parents de Nicolas à adopter « une attitude constructive et respectueuse » et leur rappelle au passage les risques qu’ils encourent devant la justice pour une dénonciation calomnieuse ! On ne sait si la rectrice de Versailles, Charline Avenel, a directement rédigé ce petit chef-d’œuvre de cynisme et de bêtise ou si elle l’a simplement approuvé. Cette camarade de promotion d’Emmanuel Macron sur les bancs de l’ENA, cursus d’élite de notre service public, a quitté son poste en juillet dernier pour devenir directrice générale du groupe Ionis, un mastodonte de l’enseignement supérieur privé. Là au moins, les parents payent. En découvrant cette missive, Elisabeth Borne et Gabriel Attal se sont donc dits stupéfaits de l’absence d’empathie et des menaces implicites qu’elle contient. Pourtant, bien des familles, elles, n’ont sûrement pas été surprises. Que leurs enfants aient été frappés par le même drame que le jeune Nicolas, ou qu’un jour ou un autre ils aient connu des « problèmes » en classe, une épreuve de la vie, ou bien qu’ils soient porteurs d’un handicap, ils auront immédiatement reconnu le style inimitable du rectorat et autres émanations du nec plus ultra de l’administration scolaire, inchangé au fil des décennies. Les services spécialisés, médicaux, juridiques ou autres des rectorats ne rencontrent surtout jamais les élèves dont le sort est en jeu. C’est un principe. Comme s’il ne fallait surtout pas mettre un peu d’humain dans la machine et la défendre envers et contre tous. A la fois arrogant et froid, le style rectorat respire la désinvolture toute-puissante propre à ces rouages de l’administration scolaire et un inintérêt absolu pour les élèves. Il s’agit avant tout de calmer et neutraliser les familles, insupportables empêcheuses de tourner en rond. Avec ses antiphrases emblématiques comme : « n’ayez aucune inquiétude », signifiant : soyez assuré que rien ne sera résolu. Le rectorat, c’est ce bastion où longtemps se sont décidées les fameuses « affectations » : dans quel établissement vont être inscrits les enfants, collégiens, lycéens, où se met en œuvre la carte scolaire objet de tant d’attention et de tensions dans les familles. C’est là l’une des causes de ce syndrome aux effets dévastateurs. Certains parents, rendus un peu dingues par la compétition scolaire ou sous l’effet d’une certaine arrogance de classe ont parfois des demandes extravagantes, c’est vrai, mais cela n’excuse rien. Véronique Radier |