| Paris, jeudi 9 juillet 2020 • Bruno Bertez : En avant les histoires ! Le monde produit les idées qui lui conviennent au moment « m » – pas étonnant, donc, de voir fleurir en ce moment dettes, déficits et TMM... • Bill Bonner : Un « progrès » qui étouffe la croissance Les marchés américains sont « valorisés pour la perfection »... mais il y a bien peu de chances que le pays connaisse des conditions « parfaites » dans les mois (et les années) qui viennent... • Claudio Grass : La crise du coronavirus a encore intensifié la guerre contre le cash (2/2) La dématérialisation de la monnaie par les Etats trouve une illustration saisissante en Chine, où le gouvernement passe à l’étape supérieure : la mise en place d’une monnaie entièrement numérique.
| LES NOTES DE BRUNO BERTEZ
| En avant les histoires !
| Comme nous l’avons vu hier, le système actuel est fondé sur la dette. Or un tel système, décapitalisé, tout en levier est hyper fragile : les pertes sur les créances des uns se diffusent en chaîne sur les actifs des autres, et le château de cartes s’écroule, la cohorte de dominos se couche – jusqu’à ce qu’on arrive au niveau du bilan du centre, c’est-à-dire le bilan du couple banque centrale/gouvernement. Un système de capitalisme financier débouche toujours sur la socialisation, sur l’exposition du centre et pour finir – c’est inéluctable –, sur la destruction de la monnaie et la mise en péril de l’ordre social. Dire qu’il n’y avait pas d’autre choix est un mensonge. C’est bien entendu faux ; c’est de la pensée monopolistique de groupe qui s’inscrit dans le droit fil de tout ce qui est fait depuis la mise en place du capitalisme financier.
Guidé par la dette L’entrée dans le capitalisme de la dette réduit les choix possibles dans tous les domaines. Cela place les autorités dans une position où elles n’ont justement plus d’autorité car elles sont otages, soumises au chantage perpétuel. A chaque fois, il faut prendre la solution qui évite l’écroulement de l’édifice. Peu à peu tout devient imposé, guidé par la dette. La dette, c’est l’argent mort, le travail mort. Le drame, c’est que le mort impose sa loi au vif jusqu’à l’asphyxier. Il est dommage que les commentateurs ne le disent pas ! Dans un monde moins noyé dans la dette, beaucoup d’autres politiques auraient été possibles – soit en termes sanitaires, soit en termes économiques. Par exemple on aurait pu décréter un moratoire de tous les engagements financiers pendant une période donnée, une sorte de suspension, une période blanche si on veut, avec financement des dépenses de l’Etat en Théorie monétaire moderne (TMM). Mais la financiarisation et le socialisme qui en découlent empêchent toute réflexion outside the box ! On pare au plus pressé On remarquera que ce qui a été mis en place et décidé l’a été non dans le cadre d’une stratégie de long terme avec examen des conséquences non voulues et des possibilités futures de revenir à la normale. Non, on a simplement paré au plus pressé. A la fin des fermetures économiques un peu partout dans le monde, que la pandémie soit terminée ou non, la question est de savoir si cette augmentation des dépenses et des dettes publiques peut se poursuivre et si les niveaux d’endettement du secteur public vont pouvoir finalement être maîtrisés et réduits. Après la fin de la Grande récession de 2009, l’opinion dominante des gouvernements et des économistes était que le niveau de la dette publique était trop élevé et que cela nuirait aux taux de croissance économique et/ou même engendrerait une nouvelle crise financière. Les meilleurs économistes comme Rogoff et Reinhart ont fait valoir qu’il y avait des preuves historiques au cours des siècles montrant que lorsque les ratios d’endettement public étaient supérieurs à 90% du PIB, la probabilité d’un krach financier était très élevée. Il a été généralement admis à l’époque que des mesures pour contrôler les dépenses publiques et augmenter les impôts, afin que les déficits budgétaires soient réduits et même éliminés pour réduire le niveau de la dette, étaient nécessaires pour assurer une croissance économique durable à l’avenir. Ce point de vue austéritaire dominait. Le point de vue keynésien apparemment alternatif selon lequel, dans un marasme, « les déficits et la dette n’ont pas d’importance » a été rejeté, parfois même par les keynésiens. Les dettes n’ont pas d’importance ? Cette fois-ci, les choses semblent différentes. Les gouvernements – à l’exception des Allemands – ne parlent pas de « contrôler » les finances du secteur public. Dans l’ensemble, ils semblent à l’aise avec des gouffres de long terme. Il semble maintenant admis que le secteur public est là pour renflouer durablement le secteur privé lorsqu’il est en difficulté. Je vous ai toujours dit que ce ne sont pas les idées des soi-disant théoriciens qui gouvernent le monde. Non, le monde se gouverne en fonction de ses déterminations et de sa logique ; il est donc normal que le monde actuel produise les idées qui lui conviennent. Ces idées, forcément, doivent aller dans le sens de l’Histoire. Les dettes n’ont pas d’importance ! Selon Paul Krugman et Lawrence Summers, des niveaux d’endettement élevés ne seront pas en eux-mêmes un problème pour les économies avancées. Ils suggèrent même que de nouvelles hausses de la dette seraient souhaitables, car cela contribuerait à inverser la tendance à la stagnation séculaire en Europe et aux Etats-Unis. Vers la dette perpétuelle L’une des principales raisons de leur optimisme est que le coût annuel du service de la dette sera inférieur au taux de croissance nominal de l’économie. Hmm ! On va vers la dette perpétuelle. La position keynésienne la plus extrême, qui est maintenant très populaire, est que même la gestion des niveaux d’endettement n’a plus d’importance. La TMM estime que tant qu’il y a sous-activité et capacités disponibles dans l’économie capitaliste, c’est-à-dire du chômage, les gouvernements peuvent dépenser indéfiniment – et les banques centrales peuvent les soutenir en « imprimant de l’argent » sans risque de défaillance ou d’effondrement financier. Toutes ces élucubrations sont fausses, archi-fausses ; elles oublient l’essentiel. Dans pareil système, qu’advient-il du taux de profit du capital total, productif et fictif, et de la productivité, si la pourriture n’est plus jamais éliminée ? Comme le dit le slogan Playmobil : en avant les histoires ! [NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
| | LES NOTES DE BILL BONNER
| Un « progrès » qui étouffe la croissance
| Nous voyons des gens prendre parti : certains abattent les statues de propriétaires d’esclaves... d’autres abattent les statues d’anciens esclaves. Dans la mesure où l’argent est notre sujet, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser des questions. Les actions et les obligations américaines sont « valorisées pour la perfection ». En d’autres termes, elles sont à des sommets historiques. Sauf que ce n’est peut-être pas la perfection qui nous attend. Pas même le « bof-bof »... le médiocre... ou la mention « assez bien ». A l’intention de nos nouveaux lecteurs, s’il y en a, nous allons expliquer pourquoi la « perfection » est d’après nous un pari aux probabilités très minces. Surveillez les schémas Toutes les choses vivantes ont un cycle de vie. Les marchés, les sociétés et les entreprises. Nous ne connaissons aucune exception. Les grandes nations suivent elles aussi des schémas, disait Lord Byron, poète anglais du XIXème siècle. Elles commencent avec la liberté, puis passent par la gloire, la richesse, le vice, la corruption... et enfin la barbarie. Notre hypothèse, aujourd’hui, est que l’on peut dire où l’on se trouve dans le cycle en se basant sur les statues : est-ce qu’on les dresse ou est-ce qu’on les déboulonne ? Elles sont installées lorsqu’un pays célèbre ses héros. Elles sont mises à bas lorsqu’il se retourne contre ses anciens dieux et sombre dans la barbarie. De grandes espérances Le week-end dernier, c’était la fête nationale aux Etats-Unis ; cela a fait remonter de vieux souvenirs. Il y a 50 ans le mois dernier, nous sommes entré dans le monde – tout frais diplômé de l’université. Le monde était bien différent à l’époque. Nous ne devions rien à personne. Nous n’avons pas eu de problème pour trouver un emploi. Nous ne pouvions pas imaginer que notre trajectoire de vie irait ailleurs que « vers le haut », pour le reste de notre vie (même si nous n’avions pas la moindre idée de comment nous y prendre pour cela). Et nous étions motorisé. Le moteur en question n’était pas exactement de qualité Corvette. Légèrement modernisé, il équipait une camionnette Chevrolet ’52, retapée par un ami dans son jardin à Albuquerque. Il ronronnait comme un chaton. Mais il était à cran. Le démarreur à six volts n’arrivait pas à le lancer. Nous devions faire attention à nous garer en hauteur... pour pouvoir pousser le véhicule en descente, embrayer et le faire démarrer. En dépit de ces humbles débuts, nous avions de grandes espérances. Le progrès semblait inévitable. La richesse semblait inéluctable. Nous nous rappelons le sentiment de liberté – libre d’aller où nous le voulions et de faire de ce nous voulions. La grippe de Hong Kong a traversé le pays cette année-là, tuant 100 000 personne (des personnes âgées en majorité, tout comme le Covid-19). Mais la vie a continué : pas de masques. Il n’y avait pas non plus de fouilles au corps dans les aéroports, ni même de contrôle technique pour les voitures. La musique des années 1960 était elle aussi pleine d’énergie et d’innovation – les Doors, les Beach Boys, les Rolling Stones (avant la mort de Brian Jones), les Beatles – Sympathy for the Devil... California Dreamin’... Yesterday... C’était une époque excitante... avec rien que de la hausse devant nous. Le début de la fin Nous étions loin de nous douter que le pays avait déjà entamé son agonie. En 1968, les Etats-Unis s’étaient lancés dans une longue et triste série de guerres impossibles à gagner à l’étranger. Trois ans plus tard, ils commenceraient à imprimer de la fausse monnaie pour les financer. En 1968, nous gagnions 5,25 $ de l’heure grâce à un job d’été consistant à repeindre des tours de télévision à Baltimore. C’était le salaire le plus élevé que nous ayons trouvé (il était dangereux de travailler à une telle hauteur) – mais nous avions besoin d’argent pour payer nos frais de scolarité (nous travaillions comme gardien de nuit dans un hôtel pour avoir une chambre gratuite, et nous faisions la plonge dans une maison d’étudiants en échange de repas). Si l’on convertit notre salaire en or, pour avoir une mesure stable, une semaine de travail suffisait à acheter six onces d’or. Aux prix actuels du métal jaune, cela reviendrait à être payé – en espèces qui plus est – 10 662 $ par semaine. Pas mal pour un étudiant, non ? Un progrès ? Aujourd’hui, même si l’étudiant obtient un travail bien payé sur un chantier, il n’obtiendra que 25 $ de l’heure environ. Soit 1 000 $ par semaine... à peine plus d’une demie-once d’or. En termes de vrai argent – le métal jaune – il a perdu plus de 9 000 $. A ce rythme, impossible de financer ses études avec des petits jobs. L’université du Nouveau-Mexique n’est pas exactement Harvard... mais son site nous informe qu’un nouvel étudiant devrait s’acquitter de 40 204 $ par an, dont 10 000 $ pour être nourri et logé. Soustrayez la nourriture et le logement (si on peut encore travailler dans des hôtels et des maisons d’étudiants), il reste tout de même une facture de 30 000 $. Même si l’on pouvait épargner 1 000 $ par semaine durant les 12 semaines d’été, il manquerait malgré tout 20 000 $. Si l’on emprunte les 20 000 $ par an... à la fin de quatre années d’études, on se retrouve avec une dette de 80 000 $. Ajoutez à cela le confinement... les guerres commerciales... le déboulonnage de statues... les milliers de milliards de dollars de fausse monnaie... les prêts pour la voiture, la maison, la consommation... et l’on obtient une image bien différente de nos années pattes d’eph’ insouciantes. Comme le souligne l’économiste George Gilder, « le prix-temps » (le temps qu’il faut travailler pour payer une livre de betteraves ou un gigaoctet de mémoire informatique) ne cesse de baisser. Pas pour l’éducation universitaire, cependant : 12 semaines estivales suffisaient à payer les frais de scolarité pour une année en 1969. Ce n’est plus le cas en 2020. Le progrès, en d’autres termes, n’est pas garanti – pas même avec le « prix-temps ». Une génération apprend. La suivante oublie. L’une érige des monuments. L’autre les démolit.
| LES NOTES DE CLAUDIO GRASS
| La crise du coronavirus a encore intensifié la guerre contre le cash (2/2)
| Comme nous l’avons vu hier, avec la crise du coronavirus, les mesures visant à supprimer l’argent liquide se multiplient... Le CDC (Centre américain pour la prévention et le contrôle des maladies) recommande officiellement aux employés du secteur de la distribution « d’encourager les clients à utiliser les options de paiement sans contact ». Un rapport de la Banque mondiale a insisté sur la nécessité de recourir aux paiements électroniques au nom de la « sécurité collective ». La banque centrale des Emirats Arabes Unis encourage l’utilisation des services de banque en ligne ainsi que les paiements électroniques « en tant que mesure de protection de la santé et de la sécurité des habitants des Emirats Arabes Unis ». La Banque d’Angleterre a déclaré que les billets de banque pouvaient véhiculer des « virus et bactéries » et recommande à la population de se laver les mains après avoir manipulé de l’argent liquide. Au mois de mars, l’agence Reuters a publié une dépêche révélant que la Réserve fédérale américaine avait isolé les billets en dollars américains qu’elle avait rapatriés d’Asie et que la banque centrale sud-coréenne poursuivait la même politique, pendant que le gouvernement chinois forçait les banques à désinfecter les billets et à les garder dans un coffre-fort pendant une période de 14 jours avant de les remettre en circulation. [NDLR : Et pendant ce temps, la vraie monnaie, solide et concrète, continue de s’apprécier. Si vous n’avez pas encore cet actif-refuge en portefeuille, c’est le moment ou jamais : voici comment faire.] Vive la Chine ?! Cependant, le point marquant fut la publication au mois de mai par le Forum économique mondial sur son site officiel d’un article pour défendre l’adoption généralisée des moyens de paiement électroniques au nom de la santé publique.
| Pour lire la suite...
| Vous recevez ce mail car vous êtes inscrit à La Chronique Agora, publié par Publications Agora France SARL. © Tous droits réservés 2020. | Ajoutez la-chronique@publications-agora.fr à votre carnet d'adresses La reproduction partielle ou totale de la présente Chronique Agora est strictement interdite sans accord écrit de la société éditrice. Les informations contenues dans La Chronique Agora sont uniquement données à titre informatif. Le lecteur reconnaît et accepte que toute utilisation de nos publications et des informations les constituant, de même que toute décision relative à une éventuelle opération d'achat ou de vente de valeurs mobilières qu'il prendrait suite à ce message, sont sous sa responsabilité exclusive. Les informations données et les opinions formulées sont, par nature, génériques. Ils ne tiennent pas compte de votre situation personnelle et ne constituent en aucune façon des recommandations personnalisées en vue de la réalisation de transactions. De ce fait, la responsabilité de La Chronique Agora et de ses rédacteurs ne pourra en aucun cas être engagée en cas d'investissement inopportun. Nous conseillons à nos lecteurs de consulter, avant d'investir, un courtier ou conseiller financier indépendant agréé. Les informations vous concernant font l'objet d'un traitement informatique destiné à l'envoi de cette newsletter gratuite. Vos données sont conservées en conformité avec les directives de la CNIL. Comme La Chronique Agora est financée grâce à nos publicités, vous avez reconnu avoir accepté recevoir des messages publicitaires pour nos meilleures idées d'investissement. Conformément à la loi "informatique et libertés" du 6 janvier 1978 modifiée et au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016, vous bénéficiez d'un droit d'accès, de rectification, de portabilité et d'effacement de vos données ou encore de limitation de traitement, en écrivant aux Publications Agora – 116 bis, avenue des Champs-Elysées CS 80056 - 75008 PARIS – service-clients@publications-agora.fr. Politique de confidentialité. Retrouvez-nous nos publications et nos services sur : http://www.publications-agora.fr http://la-chronique-agora.com Vous souhaitez recevoir La Chronique Agora quotidiennement ? Inscrivez-vous gratuitement Une question, une remarque ? Il suffit de nous écrire à la-redaction@publications-agora.fr. Vous souhaitez vous désabonner de La Chronique Agora ? Cliquez ici. PUBLICATIONS AGORA FRANCE est une société à responsabilité limitée de presse au capital de 42 944,88 euros, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 399 671 809, dont le siège social est 116 bis, avenue des Champs-Elysées CS 80056 - 75008 PARIS. Numéro de TVA intracommunautaire FR 88399671809.
|
|
|