Riche semaine pour l’IA qui a été au cœur du salon Vivatech, précédé d’une réunion des talents français de cette technologie prometteuse à l’Elysée. Il s’agissait de tirer les conclusions du rapport du comité de l’intelligence artificielle générative, remis au président de la République. Au regard des ambitions affichées par Emmanuel Macron lors de cette réunion, faire de la France un pays leader de l’intelligence artificielle, il y a tout lieu de s’inquiéter car le compte n’y est pas. La principale annonce, en réalité la simple confirmation d’une promesse de l’an dernier, consiste à mettre 430 millions d’euros d’argent public de plus que la stratégie IA de… 2018 (celle de Cédric Villani), dans les neufs pôles universitaires dédiés, à Saclay, Toulouse, Rennes, Nice et Paris. Former des talents universitaires, c’est bien et il est vrai que la France figure aux premiers rangs avec ses bons matheux (il y en a encore) et ses écoles d’ingénieurs. Mais « avec 400 millions, on a l’impression d’avoir une stratégie bonsaï en IA », s’inquiète l’entrepreneur Tariq Krim dans un post bien salé. De même, il s’interroge sur la volonté présidentielle de porter de 3% à 20% des achats mondiaux la part de l’Europe dans le marché crucial des processeurs graphiques GPU. Cette course à la superpuissance informatique pose question sur les respects de nos objectifs climatiques, équation que Macron veut résoudre en France par son plan nucléaire. Mais elle promet surtout de faire la fortune de NVIDIA (dont la capitalisation s’est envolée cette semaine après de nouveaux résultats record au premier trimestre), en l’absence de capacités européennes dans les semi-conducteurs. Malgré le très bel investissement de Global Foundries à Crolles, près de Grenoble, la Silicon Valley française, il n’y a « pas d’acteurs d’envergure dans les puces sophistiquées de l’IA », regrette le chef de l’Etat dans un entretien à l’Express. Le Chips Act européen s’est concentré sur les pénuries de semiconducteurs dans l’automobile et les télécoms. A l’heure de la souveraineté, c’est la certitude d’une nouvelle dépendance. Il faut avoir le courage et l’honnêteté de le dire, ce qui manque le plus, dans cette stratégie IA, c’est l’argent. L’argent public, il ne faut pas y compter trop, alors que la France est en déficit excessif chronique. Pour tenir les 3% du PIB promis en 2027, il faudrait 85 milliards d’euros d’économies ou… de hausses d’impôts. Le FMI a achevé de ruiner la crédibilité de la trajectoire budgétaire de la France en projetant, au mieux, un déficit de 4,5% en 2027. A défaut d’argent public, Emmanuel Macron en appelle à l’argent privé. Or, le fonds d’investissement pour l’IA qu’il promet de créer avec des montants « très significatifs » en fin d’année souffre encore d’un très grand flou. Certes, l’Etat abonderait les montants levés d’un quart, s’engage-t-il. Mais encore faudrait-il que le privé mobilise des capitaux. Et on est loin de la coupe aux lèvres. La seule initiative significative à ce jour est le laboratoire Kyutaï, doté de 300 millions à parts égales par Xavier Niel, le fondateur de Free, Eric Schmidt, ancien CEO de Google, et Rodolphe Saadé. Le patron de CMA-CGM (propriétaire de La Tribune) a regretté dans une récente interview au Monde le 6 mai le manque d’allant pour l’IA des grandes entreprises françaises. « Nous ne sommes que trois à financer Kyutaï. Plus aurait été préférable, mais mieux vaut trois que rien », a-t-il expliqué. Depuis, on commence à voir émerger des projets, à l’exemple de H (ex Holistic AI), la nouvelle star française de l’IA qui a annoncé cette semaine avoir levé 220 millions de dollars en « seed », un record en amorçage, avec parmi ses premiers investisseurs Xavier Niel (encore) et Bernard Arnault, le patron de LVMH. Public ou privé, on ne peut pas dire que l’argent coule à flot dans l’IA en France comme en Europe et c’est cela qui doit inquiéter. Car c’est maintenant que la bataille se joue et à l’image de la première révolution internet, on a la furieuse impression que derrière les discours, la résignation l’emporte sur la volonté. Qu’il s’agisse des puces, du cloud ou des LLM (modèles de langage), l’avantage comparatif est à l’Amérique et cela semble nous condamner à n’être que des consommateurs de solutions inventées par d’autres. Les récentes offensives de Google (Gemini, AI Overviews), de Meta avec LLama3 qui va fournir des agents IA dans ses plateformes (WhatsApp, Facebook, Instagram), de Microsoft qui va équiper ses ordinateurs de solutions IA embarquées, et enfin la sortie prochaine de ChatGPT5 pour l’instant doté d’un nom de code assez transparent, GPT-Next, tout cela annonce pour les prochains mois une seconde vague de l’IA, qui risque d’être le tsunami qui va nous submerger. Face à cette puissance, dire que l’on va passer de 40 à 100.000 personnes formées à l’IA par an et faire des Cafés IA pour éduquer les citoyens à la déferlante de l’intelligence artificielle est louable, mais ne sera qu’une maigre consolation.
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