« On n’a pas toujours la chance de mourir le premier, le plus dur c’est pour celui qui reste sur le carreau. C’est pas marrant de finir tout seul. J’ai besoin d’une compagnie, d’une présence. J’ai songé quelquefois à me remarier, mais comme je ne veux pas être veuf une seconde fois, je prends mes garanties. J’ai eu une idée, j’ai fait paraître une annonce dans le journal. « Veuf cherche femme immortelle… » Que penses-tu de mon idée d’annonce ? Tu ne m’en veux pas ? Tu n’es pas jalouse ? J’espère que tu te dis : Fournier j’ai eu ma dose, chacun son tour, bon courage à la nouvelle… La nouvelle, est-ce que je vais la trouver ? Tu n’as pas à t’inquiéter, elle ne peut pas être mieux que toi, c’était toi la mieux. Tu as été la chance de ma vie. Je ne te l’ai jamais dit, je le pensais, je le disais aux autres. Tu m’as porté à bout de bras avec le sourire. Tu croyais en moi, tu m’as donné confiance, tu m’as fait briller comme les vieux meubles qu’on dénichait dans les brocantes pour meubler nos vieilles maisons. On était un couple complémentaire. Tu étais le bon, j’étais le mauvais. On pouvait compter sur toi. Beaucoup ont compté sur toi. Ton père, quand il s’est séparé de ta mère, a décidé de te confier la marche de la famille, tu as été la mère la sœur l’amie de tous. Ta sœur, que tu as logée quand elle a été enceinte et chassée de la famille par ton père, très exigeant sur la morale. Et la multitude de personnes que tu as dépannées… Tu as été jusqu’à t’occuper de ma première femme, lui trouver un appartement et un mari. Tu t’es occupée de mes deux gamins handicapés avec beaucoup de discrétion. Tu avais beaucoup de courage pour défendre ceux que tu aimais. Je n’oublierai pas, toi la bien élevée, tu as craché à la figure d’un journaliste qui m’avait fait du tort. Je crois que tu es une des rares personnes dont on n’ait jamais dit ni pensé du mal. Je n’oserais pas dire parfaite, c’est un mot que je n’aime pas beaucoup. Les gens parfaits manquent de charme… Nous étions faits pour vivre ensemble, on aurait dû mourir ensemble. Tu as été ma chance… Je n’ai plus de chance maintenant, seulement des souvenirs. » |