Le modèle économique de Google menacé ?
Attaqué sur trois de ses activités, Google fait face à un séisme sans précédent aux États-Unis, dont les secousses pourraient l'obliger à revoir entièrement son modèle économique... et avoir de fortes conséquences sur l'industrie du marketing. Les procès se suivent et se ressemblent pour Google. Dix mois après avoir été reconnu coupable d'abus de position dominante dans
l'affaire qui l'oppose à Epic Games, l'éditeur du jeu Fortnite, sur fond de monopole illégal concernant sa boutique d'applications Google Play Store, la firme de Mountain View vient de perdre une nouvelle bataille. Lundi 7 octobre, James Donato, juge fédéral de Californie, lui a ordonné d'autoriser l'installation de magasins d'applications concurrents dans son Play Store, avec un délai de huit mois seulement pour se mettre en conformité. Concrètement, à partir de juillet 2025, Google devra permettre l'intégration de boutiques alternatives qui auront également accès à tout le catalogue d'applications du Play Store. Le tout sans prélever une partie de leurs revenus, ni imposer l'utilisation de son système de paiement via Google Play pour les applications distribuées dans le Store. Système qui ponctionnait des commissions pouvant aller jusqu'à 30%...
Sachant que le Play Store est l'une des principales sources de revenus d'Android, le système d'exploitation de Google, c'est tout le modèle économique de cette branche du géant américain qui vacille. «
Android a contribué à élargir le choix, à réduire les prix et à démocratiser l'accès aux smartphones et aux applications, se défend Google dans un communiqué.
Cette décision et les modifications demandées aujourd'hui par Epic mettent en péril ces acquis et compromettent la capacité d'Android à concurrencer l'iOS d'Apple. » Comprendre : notre business est grandement menacé.
La fin des monopoles Selon des documents présentés par Epic Games lors du procès et
cités par le New York Times, le Play Store a généré environ douze milliards de dollars en 2021, avec des marges de plus de 70% dans certains cas. Pour Diego Ferri, directeur senior IA chez EY Fabernovel
cité par Le Figaro, ce jugement marquerait «
la fin d'un monopole sur la distribution d'applications mais aussi sur la maîtrise de l'expérience utilisateur » via Android, qui «
était jusque-là la porte d'entrée et la caisse enregistreuse ». Un monopole qui n'est pas le seul à être actuellement dans le viseur de la justice américaine.
Depuis le mois dernier, Google est également engagé dans un procès relatif à son hégémonie dans le domaine de la publicité en ligne. De la vente des espaces publicitaires aux marchés où ont lieu les transactions, en passant par les outils des annonceurs pour acheter ces espaces, le gouvernement américain l'accuse de contrôler les technologies utilisées par «
quasiment tous les sites web ». Selon certains experts, l'entreprise concentrerait plus d'un quart des dépenses publicitaires en ligne globales et plus de la moitié des recettes publicitaires relatives aux recherches en ligne. Une activité, elle aussi, attaquée en justice par les élus américains.
Effet domino Accusé depuis 2020 d'avoir payé plusieurs dizaines de milliards de dollars aux fabricants de smartphones, ainsi qu'aux opérateurs télécoms et autres fournisseurs d'accès internet pour imposer son moteur de recherche et écraser un peu plus la concurrence, Google est empêtré dans un procès-fleuve qui vient de prendre une nouvelle tournure... Mercredi 9 octobre, le ministère de la Justice (DOJ) a déposé un dossier au tribunal fédéral de Washington, détaillant une série de mesures pour rétablir la concurrence sur la recherche en ligne, que Google domine à près de 90% (environ 95% sur mobile). Des mesures comme l'obligation de rendre accessibles les données et les modèles de programmation utilisés pour générer des résultats via son moteur de recherche, l'interdiction d'utiliser ou de conserver des données qu'il refuse de partager avec des sociétés tierces, et la possibilité d'empêcher Google d'utiliser son navigateur Chrome, sa boutique d'application Google Play Store et son système d'exploitation mobile Android pour conférer un avantage à son moteur de recherche. Un document d'une trentaine de pages qui évoque surtout des changements «
structurels », que de nombreux spécialistes traduisent par une scission de ses activités. En d'autres termes, Google pourrait être amené à se séparer de Chrome et d'Android. «
Il faut avoir une chose en tête : Chrome et Android ne doivent leur existence qu'à leur rôle de porte d'entrée vers le Web, qui est Google..., avance un professionnel du marketing digital
Les Échos. Ce sont deux "gate keepers" vitaux pour l'entreprise qui apportent du trafic vers le moteur de recherche, et donc vers les publicités dans les résultats. »
La fin d'une ère ? Évidemment, Alphabet, la maison mère, s'est rapidement fendu d'un communiqué pour expliquer que «
scinder Chrome et Android les détruirait, eux et beaucoup d'autres choses », qu'une séparation forcée «
changerait leur modèle économique, augmenterait le coût des appareils et saperait Android et Google Play dans leur compétition avec l'iPhone et l'App Store », et que le partage éventuel des données de recherche et des résultats avec d'autres acteurs d'internet «
présenterait un risque pour la protection de vos données et votre sécurité ». À ce stade, le document transmis au tribunal n'est qu'une version préliminaire des mesures correctives demandées par le département de la justice, qui doit les finaliser d'ici à fin novembre, et la décision du juge ne sera pas connue avant août 2025.
Alors va-t-on vers un démentiellement ? De nombreux observateurs en doutent et rappellent qu'une décision similaire visant Microsoft avait été cassée en appel début 2000. «
Nous continuons à penser que des remèdes structurels sont une issue improbable pour Google dans cette affaire et nous nous attendons à ce que les impacts sur son modèle économique soient limités à la distribution de la recherche »,
estime l'analyste Dan Ives, de la banque d'affaires Wedbush Securities, rappelant que Google a, lui aussi, promis de faire appel. Une chose est sûre : le vent du boulet n'a jamais soufflé aussi fort dans la Silicon Valley.