Spectateurs,
Auditrices,
Désormais on écrit avec un troll perché sur l’épaule. Et ce troll te chuchote des horreurs à l’oreille. Il est cette espèce de gremlin affamé, moitié mauvaise conscience et moitié air du temps, qui traque la faiblesse par où il va frapper. Comme les malheureux qu’on voit courbés sur les trottoirs, cherchant d’invisibles miettes de crack dans les fentes du pavé, le troll prend son rêve pour la chose. On croit lutter contre le mal, on en picore les reflets. Notre troll prospère sur le mot coupable, la blague maladroite, le geste déplacé. Dès qu’on croit discerner un air problématique, on dégaine l’artillerie lourde. Tout ce qu’on ne sait pas affronter dans la vraie vie - nos faiblesses, nos hontes, notre extrême droite à 35% d'intentions de vote - on peut enfin l’oublier en adoptant une posture de supériorité morale sur un ennemi imaginaire, la vanne d’un comique, le tweet d’une célébrité ou le post d’un camarade. Ce phénomène ne date pas des réseaux : on préfère souvent avoir raison plutôt que d’assumer une quelconque responsabilité.
Notre troll est utile. Se faire détester est le prix à payer pour ouvrir sa grande gueule. Nous-mêmes ne sommes pas sans brutalité ni mauvaise foi. Nous sommes le troll et l’ange, tour à tour et en même temps, comme tout le monde. On devrait tourner sept fois le lance-flammes dans sa bouche. L’élimination de l’autre, même symbolique, ne devrait jamais être un objectif de notre camp. La censure, la dramatisation surjouée et les postures moralisantes sont l’apanage des puritains, pas des progressistes. Et les puritains d’aujourd’hui comme les Tartuffe d’hier sont toujours les pires ennemis des femmes, des LGBT, des libres-penseurs, de tout ce qui questionne l'ordre immuable. Personne n’est tout-à-fait saint ni sorcière. C’est pourquoi nous jouons contre les images pieuses la carte du son, donc celle du tremblé, de la fiction, de la contradiction. Le son ne promet pas la vérité. Il doute. Il propose. A nous de trier,