Musique & IA, l’impossible accord ? | | Les progrès de l'IA générative révolutionnent les contenus musicaux et font planer une ombre de plus en plus opaque sur une industrie pour qui cette année 2024 s'annonce comme un tournant majeur...
« Nous devons nous protéger contre une utilisation prédatrice de l'IA pour voler les voix et les ressemblances des artistes professionnels, violer les droits des créateurs et détruire l'écosystème de la musique. » Dans une lettre ouverte publiée mardi dernier par l'Artist Rights Alliance (ARA), plus de 200 artistes majeurs – dont Stevie Wonder, Billie Eilish, Katy Perry, Nicki Minaj, Norah Jones, les groupes Pearl Jam et R.E.M., ainsi que les héritiers de Frank Sinatra ou Bob Marley – appellent les acteurs de l'industrie musicale comme les pouvoirs publics à se défendre face à la menace qu'incarne l'IA générative pour leur business. « Nous demandons à toutes les plateformes de musique numérique et à tous les services musicaux de s'engager à ne pas développer ou déployer de technologies, de contenus ou d'outils de génération de musique par l'IA qui sapent ou remplacent l'art humain des auteurs-compositeurs et des artistes, ou qui nous privent d'une juste rémunération pour notre travail. » Un différend déjà au cœur de la brouille entre TikTok et le groupe Universal Music (UMG), qui a entraîné le retrait pur et simple de l'ensemble du catalogue UMG sur la plateforme chinoise depuis le 31 janvier. IA comme un hic !
D'autant que la menace se précise et porte désormais plusieurs noms... Comme Suno, évidemment : l'intelligence artificielle qui crée des morceaux dans tous les styles à partir d'un simple prompt et dont la troisième version sortie le 21 mars fait enfin passer ce robot mélomane dans la catégorie des auteurs-compositeurs-interprètes « écoutables ». L'album de la maturité, pourrait-on dire. La preuve avec ce test réalisé par les journalistes du Monde, qui confirme au passage que pour entraîner son modèle et le transformer en juke-box virtuel crédible, Suno s'est approprié notre patrimoine musical sans trop se soucier du droit d'auteur. D'ailleurs, au rayon « appropriation » de la Fnac, on pourra peut-être bientôt trouver les prods d'une autre IA, engendrée, elle, par le label OpenAI et qui répond au doux nom de Voice Engine. Un outil qui permet de cloner une voix à partir d'un échantillon de quinze secondes (une folie en matière de cybersécurité, soit dit en passant par le Figaro), dont la boîte de Sam Altman limite pour l'instant l'expérimentation à une poignée d'utilisateurs soigneusement sélectionnés, histoire de « contrôler » les risques évidents liés à la démocratisation d'une technologie qui a déjà engendré quelques belles supercheries (remember le feat frauduleux entre Drake et The Weeknd). Ce qui amène (ou pas) à se poser la question suivante : si on combine Suno et Voice Engine, est-il possible de créer un artiste que l'on appellerait, au hasard, Johnny Midjourney et de lui faire chanter « toute la musique que j'aime, elle vient de l'IA, elle vient du flouze... » ? Le rêve est permis. Le gaming à la rescousse ? Pour Dennis Kooker, en revanche, c'est plutôt le cauchemar. « 2024 sera une année de transformation dans l'univers de la musique, prévient le président global digital business de Sony Music, dans une interview accordée aux Echos, qui rappelle que le groupe a déjà formulé près de 20 000 demandes de retraits aux plateformes comme TikTok ou Instagram pour clonage vocal. L'entraînement des modèles d'IA sans permission aboutira à des produits non autorisés qui concurrenceront directement les artistes existants et dilueront l'écosystème. » D'où la nécessité d'encadrer son utilisation dans la musique le plus strictement possible, mais également de diversifier ses revenus en considérant d'autres marchés encore peu exploités et dont le potentiel dessine de nouvelles frontières pour cette industrie en pleine perte de repères. Ce que Sony a pu vérifier cet été, en intégrant l'univers du clip de Jericho – le titre de la chanteuse Iniko – à celui du jeu vidéo Fortnite qui rassemble plus de 500 millions de joueurs, via une île entièrement consacrée à l'artiste new-yorkaise. « Il faut trouver le business model, mais les plateformes de jeu vidéo ont tendance à bien monétiser les microtransactions, souffle Dennis Kooker en citant la vente de billets ou de merchandising réel et virtuel (des skins en édition limitée, par exemple) comme éventuels débouchés. Les plateformes de jeu vidéo deviennent des plateformes de divertissement, mêlant jeu, musique et dimension sociale. À moyen ou long terme, c'est une formidable opportunité pour les artistes. » Pour les grandes majors aussi. En attendant, les journalistes, un brin taquins, du média The Drum ont demandé à Suno d'écrire une chanson pour soutenir le combat mené par l'Artist Rights Alliance. Le titre s'appelle The Battle of the Artists. Et le dernier couplet envoie du bois : « À travers le bruit et le chaos, nous trouverons notre chemin. Dans cette bataille des artistes, nous ne flancherons pas. Avec la passion dans nos cœurs, nous ne nous conformerons jamais. Le pouvoir de l'expression humaine, pour toujours notre norme. » Manque un « LOL » et c'est un perfect. | | | | UN PAVÉ DANS LA JUNGLE | Le 14 août prochain, CrowdTangle sera mis définitivement hors service par Meta, au grand dam des journalistes et experts de l'information. Initialement dédié à l'analyse des statistiques en temps réel des sites d'information, ce logiciel permet également de suivre la propagation des théories du complot ou l'évolution des campagnes de manipulation pilotées depuis l'étranger, et était devenu essentiel dans la lutte contre les fake news sur Facebook et Instagram. Pourquoi c'est un pavé ? Si le groupe a précisé que l'outil serait remplacé par une bibliothèque de contenus certifiés, les experts s'accordent à dire que cette alternative ne présente pas les mêmes fonctionnalités et que la démarche s'inscrit dans une stratégie plus globale des GAFAM, qui vise à se retirer progressivement du « news game » pour éviter, notamment, de repasser à la caisse concernant la rémunération des contenus d'actualité. Après le Canada et plusieurs pays européens, Facebook a d'ailleurs fermé son onglet « News » aux USA et en Australie, où la firme se prépare à mener un nouveau bras de fer avec le gouvernement. Une tendance de fond dangereuse pour le modèle économique des grandes maisons de presse, déjà vacillant à cause de l'IA générative, et particulièrement inquiétante en cette année 2024 où la moitié de l'humanité est appelée aux urnes... | UN FORMAT À LA LOUPE | | Ce 31 mars, Hugo Travers lançait Elan, son nouveau média en ligne dédié à l'orientation professionnelle et, plus généralement, tout ce qui tourne autour de l'entrée dans l'âge adulte. On y retrouve des contenus « découverte des métiers », comme des « guides pratiques sur les sujets de logement, de finance, de santé ou d'administratif », énumère le fondateur de l'empire HugoDécrypte, qui compte sur ses quatorze millions d'abonnés cumulés pour assurer la réussite de ce projet présenté aux Echos comme une opportunité « d'accompagner les jeunes pour une entrée sereine dans la vie active ». Sans oublier de monétiser tout ça, puisque la proposition est complétée par une plateforme de recrutement où, selon cet article du Monde, les entreprises peuvent publier leurs annonces moyennant un abonnement annuel compris entre 2000 et 4000 euros par espace de diffusion. Un pavé dans la jungle de Welcome to the Jungle. En un peu moins d'une semaine, une quinzaine de marques ont déjà pris de l'élan – dont quelques gros employeurs comme la SNCF, Decathlon, L'Oréal, Chanel, Veolia, Bic, Métro ou Doctolib – et d'autres devraient bientôt faire le grand saut. « Chef de projet en transformation retail, c'est un poste qui ne parle pas. Sur un jobboard classique, il se noie dans la masse des autres. HugoDécrypte peut nous permettre de lui donner un petit plus », se réjouit Axel Lebouc, campus à Sephora. Là où Hugo Travers préfère, lui, parler en toute simplicité de « la décision la plus importante depuis que je suis sur les réseaux sociaux ». | LE CONTENU QU'ON AURAIT ADORÉ FAIRE | | Dave The Diver est un petit jeu vidéo indépendant qui, croyez-le ou non, a séduit plus de trois millions de joueurs en leur proposant d'incarner Dave, un plongeur obèse dont la quête principale consiste à pêcher un maximum d'espèces (protégées, le plus souvent) la journée, pour remplir les frigos du restaurant de sushis qu'il tient le soir. Un kamoulox vidéoludique qui mêle exploration, pêche, cuisine, gestion des ressources, satisfaction client et combats acharnés. Oui, tout ça en même temps ! Détail amusant : John Watson, l'un des nombreux boss à vaincre, est présenté comme un ancien Navy Seal et leader d'une organisation appelée « Sea Blue: The Guardians of the Sea »... Il n'en fallait pas plus pour que la branche française de l'ONG Sea Shepherd profite du 1er avril pour faire honneur au drapeau pirate revisité qui lui sert d'emblème, en tentant un « poisson d'avril virtuel » osé, mais inspiré. Afin de sensibiliser au problème de la surpêche, l'association a envoyé des centaines de faux mails (du phishing, donc) à des créateurs de contenu autour du jeu pour les inviter à télécharger un DLC intitulé « The Final Boss ». Du contenu additionnel jouable qui, une fois lancé, pirate le jeu en vidant l'océan de toutes formes de vie et place les joueurs en face d'un boss imbattable, présenté dans cette vidéo postée sur le compte X de Sea Shepherd France : « Mon collègue, John Watson, n'a rien pu faire pour vous stopper. Je dois donc prendre les choses en main. Je suis Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, protecteur de l'océan, et je suis ici pour vous montrer qui est le boss... Moi. Maintenant. Et vous allez devoir faire face aux conséquences de vos actes ! » | UNE DERNIÈRE LIANE POUR LA ROUTE | Primée au festival Séries Mania, Machine, c'est la nouvelle série ovni de la plateforme arte.tv. Le pitch ? Machine (jouée par Margot Bancilhon), une jeune marginale recherchée par les services secrets de l'armée – et, accessoirement, ex-membre des forces spéciales, c'est important –, est de retour dans sa petite ville natale pour s'y planquer et, qui sait, refaire sa vie dans la quiétude campagnarde. Embauchée dans une usine en pleine restructuration, elle y rencontre « Jipé » (incarné par JoeyStarr), un contremaître marxiste en fin de carrière « à qui on ne la fait pas » et qui la convertit au grand capital et à la lutte des classes. Forcément, le naturel revient au galop et Machine n'hésite pas longtemps avant de mettre sa science des arts martiaux au service de ses camarades syndiqués. Façon Kill Bill... Un défouloir en six épisodes réalisés par Fred Grivois et Thomas Bidegain, que Télérama situe quelque part « entre Ken Loach et Tarantino ». |
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