EDITO La longue réflexion de la France sur la fin de vie a repris il y a 2 ans lors de la campagne présidentielle. Elle vient d’entrer dans une nouvelle phase avec l’interview récente du Président Macron et le dépôt d’un projet de loi au Conseil d’Etat en vue d’un prochain examen à l’Assemblée nationale. Ce projet de loi propose un modèle d’assistance au suicide associé à une exception d’euthanasie très proche de celui retenu par l’avis 139 du CCNE. Il comporte également un volet « soins d’accompagnement » qui devrait être complété prochainement par des annonces concernant la stratégie décennale qui doit succéder au plan de développement des soins palliatifs en cours. Dans le même temps, la SFAP vient de conduire auprès des acteurs de soins palliatifs une consultation qui fait suite à celle réalisée durant l’été 2021 et doit lui permettre de construire un positionnement public fidèle aux positions de ceux qui se reconnaissent en elle. Adhérents ou, plus souvent, non adhérents à la SFAP, vous avez été près de 2300 à répondre et je vous en remercie, c’est essentiel. A votre demande, en 2021, la SFAP s’était fixée comme objectif de faire entendre la voix des soignants dont l’expérience et les compétences sont indispensables pour éclairer les débats et y apporter les nuances et la complexité qui sont notre quotidien. Au fil des mois, cette parole initiée par les soins palliatifs s’est élargie, au sein d’un collectif, à d’autres métiers ou disciplines du soin. Aujourd’hui, nous partageons nos réflexions et nos prises de paroles avec plus de 20 fédérations, sociétés savantes et organisations soignantes, représentant l’immense majorité de ceux qui soignent à la fin de la vie : gériatres, cancérologues, HAD, infirmiers, psychologues et psychiatres, néphrologues, pneumologues, pédiatres, généralistes, réanimateurs… Nous avons souhaité exprimer nos valeurs, nos questions, nos propositions, nos doutes ou nos inquiétudes. Inquiétude dont vous vous faites massivement l’écho dans cette nouvelle phase de consultation. Notre avenir nous semble incertain. Des changements majeurs du cadre législatif avec lequel nous travaillons se profilent et leur impact sur nos pratiques professionnelles sera important et déstabilisant pour beaucoup d’entre nous. Le parcours législatif à venir est encore long, et sera jalonné de mois de débats qui seront à la fois démocratiques, médiatiques et politiques. Ce sera l’occasion de continuer à nous faire entendre, d’essayer de lever certaines zones d’ombre, de trouver des points d’accord et de nommer des points de désaccord parfois forts en même temps que d’obtenir un engagement en faveur des soins palliatifs à la hauteur des enjeux et des besoins. Même si ce débat est parfois rude et difficile à vivre, il me semble que nous ne devons ni le craindre ni le refuser mais témoigner avec douceur et ténacité de ce qui fonde notre engagement aux côtés de ceux qui vivent à l’ombre de la mort. Une large majorité d’entre vous nous dit voir dans ce projet de loi une menace pour la philosophie du soin qui nous porte. D’autres, même s’ils sont minoritaires, y voient une nécessaire ouverture à une société qui évolue. Quelles que soient les positions personnelles de chacun, le message que vous avez adressé à la SFAP est une volonté toujours très forte de continuer à offrir à chacun des patients qui se confient à nous avec leurs proches un accompagnement singulier. Soignants ou bénévoles, nous voulons toujours pouvoir dire à chacun d’entre eux qu’ils comptent pour nous et que nous ne craignons pas d’entendre ce qui les préoccupe, y compris parfois la demande de mort. Nous souhaitons également continuer à tenir en équipe la promesse du non-abandon : nous serons là jusqu’au bout dans le respect d’une relation de soin qui doit garder son équilibre. Alors si cette loi passe, comment allons-nous collectivement aborder ce nouveau chapitre de l’histoire des soins palliatifs en France ? Comment allons-nous construire un avenir commun qui soit riche de nos différences ? Comment allons-nous nous aider les uns les autres ? C’est le défi qui nous est lancé. Nous ne l’avons pas choisi, mais il risque de s’imposer à nous. Par nos métiers, nous sommes confrontés à la mort au quotidien. Parfois nous avons peur mais nous faisons face. Nous ne fuyons pas. Nous soulageons. Nous inventons. Nous créons. Nous imaginons. Alors demain, malgré la peur qui nous étreint et le vertige qui nous saisit parfois, nous allons faire face et nous trouverons un chemin. Ensemble. Dr Claire Fourcade Médecin de soins palliatifs et présidente de la SFAP Projet de loi Retrouvez ICI le projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie », en cours d’examen au Conseil d’État, et qui devrait être présenté en conseil des ministres le 10 avril avant d’être débattu à l’Assemblée nationale en mai. Communiqué de presse Retrouvez ICI le communiqué de presse du collectif soignant : « Annonces d’Emmanuel Macron sur la fin de vie : la consternation et la colère des soignants ». Réaction « Avec ce projet de loi, je me sens abandonnée » : regardez ICI la réaction de Claire Fourcade dans la matinale RMC / BFMTV du 11 mars. Point de vue Contribution de Vincent Morel Le projet de loi relatif « à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » qui sera prochainement discuté au Parlement est aujourd’hui largement partagé. Il s’inscrit dans la suite de nombreux travaux qui ont permis à chacun d’exposer ses réflexions et argumentations sur le sujet. C’est ainsi que le CCNE a considéré qu’il existait « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes, avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger » et que la conférence citoyenne a demandé, à l’issue de 27 jours de débats, une évolution législative vers une « aide active à mourir ». En proposant des modalités d’une « aide à mourir » qui relève dans son principe général de l’assistance au suicide¹ et pour les situations exceptionnelles où le patient ne serait pas en capacité physique de réaliser lui-même le geste létal, d’une euthanasie² (réalisée par une personne volontaire ou un professionnel de santé désigné par le patient) le texte cherche à concilier à la fois les attentes d’une société qui demande plus de liberté, plus d’autonomie, plus de maîtrise, plus de contrôle dans la conduite des derniers moments de la vie avec la possibilité même de pouvoir choisir le moment de la mort et les réserves exprimées par les soignants qui, dans l’attention qu’ils portent aux plus fragiles, considèrent comme par exemple la SFAP que « donner la mort ne peut pas relever d’un soin ». Cette proposition d’inscrire l’aide à mourir dans la loi est assortie de deux points de vigilance importants. Il s’agit d’abord de s’assurer que « l’aide à mourir » ne puisse être sollicitée que dans le cadre d’un périmètre « contenu » et ne soit pas rattachée à un droit sans réserve de choisir l’instant de sa mort qui s’inscrirait alors dans une liberté absolue et inconditionnelle. C’est le sens des critères proposés (un droit pour des patients majeurs, « capables d’un discernement plein et entier », atteints d’une « maladie incurable » avec un « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » et subissant « une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable » qui conduisent à un modèle assez restrictif par rapport aux législations étrangères en particulier belges ou canadiennes. Au regard de ces exemples étrangers, il ne faudrait pas cependant mésestimer le risque possible d’une extension progressive (accès pour les mineurs en Belgique, disparition de la notion de fin de vie imminente comme critère au Canada par exemple) qui pourrait être corrélé à une progression très importante du nombre d’actes d’euthanasie (ex province de Québec 2.4 % des décès en 2019 à 7% en 2023). Le second point de vigilance est de s’assurer que les demandes d’aide à mourir ne soient pas sous-tendues par un manque d’accès aux soins palliatifs et/ou à des professionnels formés, comme c’est trop le cas encore aujourd’hui. C’est tout l’objet de la stratégie décennale des soins palliatifs qui doit être engagée dans le cadre de ce projet de loi. Cette stratégie est ambitieuse pour assurer que chaque citoyen soit sûr d’être écouté, soulagé, correctement accompagné pour ne pas souffrir alors qu’il sera en fin de vie et cela quel que soit le lieu où il vivra. Mais pour atteindre ces objectifs, cette stratégie nécessitera des engagements financiers forts et durables. Elle demandera des choix, des arbitrages financiers courageux qui engageront à la fois les pouvoirs publics mais aussi chacun d’entre nous sur les priorités que nous choisirons et tout cela dans un contexte budgétaire que nous savons contraint. Sans inscrire la réalisation du geste létal dans leurs pratiques, les soins palliatifs auront la nécessité de s’adapter à cette nouvelle loi, à cette nouvelle façon, pour la société, d’envisager la fin de vie et la mort. Il s’agira de construire avec le patient qui ferait une demande « d’aide à mourir » un projet de soin respectueux des engagements et des repères de chacun et trouver avec lui « une voie pour une application éthique » de l’aide à mourir. Cette écoute conjointe, nous savons déjà la soutenir dans des situations très complexes (en s’appuyant en particulier sur les repères de la loi Claeys Léonetti). Des demandes de mort sont régulièrement évoquées par les patients (10% des cas selon l’étude de F Guirimand ³). Elles sont écoutées, comprises, analysées. Des réponses y sont apportées et la majorité vont s’amender. Finalement seuls 0,5% des patients persisteront dans une demande de « mort provoquée ». En conscience et dans la singularité de la rencontre il s’agira alors de construire la forme d’un accompagnement acceptable pour tous, en respectant la liberté de chacun : celle du patient de pouvoir bénéficier de « l’aide à mourir » et de pouvoir s’administrer une substance létale (dans le respect du cadre législatif) et celle du soignant de ne pas réaliser ce geste (dans le respect de sa conscience). Pour autant ne soyons pas dans l’utopie de penser que cette prochaine loi viendra clore notre angoisse de mourir. La mort restera un évènement violent et cela quelles que soient les conditions de sa survenue et la maîtrise que nous penserons avoir sur elle. Vincent Morel Chef de service de soins palliatifs CHU Rennes Ancien président de la SFAP ¹ Définition CCNE avis 123 : acte qui consiste à donner les moyens à une personne de se suicider elle-même (…) en absorbant un produit létal qui lui a été préalablement délivré ² Définition CCNE avis 123 : acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable ³ Guirimand F. Souhait de mourir et demande explicite d’euthanasie. Medecine palliative 2016, vol (15) 2 p 86-95 Extrait Jean Leonetti: «L’aide à mourir, c’est le contraire d’un projet de fraternité» interview au Figaro, 16 mars 2024 LE FIGARO. - Emmanuel Macron a dévoilé cette semaine le contenu d’un projet de loi sur «l’aide à mourir». Cette loi dite de «fraternité» ouvrirait un «chemin qui n’existait pas» avec l’ambition de concilier «autonomie» et «solidarité». Qu’en pensez-vous ? JEAN LEONETTI. - Le projet qui nous est aujourd’hui présenté est le contraire d’un projet de fraternité. Le débat éthique est en effet un conflit de valeur entre la protection de la vulnérabilité, au nom de la fraternité, et le respect de l’autonomie de la personne, au nom de la liberté. On voit bien que les orientations proposées privilégient la liberté individuelle à la fraternité collective puisqu’on permet de donner la mort à des personnes vulnérables au nom de leur liberté de choix. Il rompt l’équilibre fragile entre autonomie et solidarité. Est-il vrai que la loi Claeys-Leonetti ne permet pas de traiter certaines situations humainement très difficiles qui inciteraient nos concitoyens à se rendre à l’étranger, comme le soutient le président de la République? La loi actuelle est en effet destinée aux personnes qui «vont» mourir et non pas aux personnes qui «veulent» mourir. Le texte législatif aujourd’hui en vigueur fixe comme objectif de soulager la souffrance en phase terminale «même si» cela doit hâter la mort, mais pas de provoquer délibérément la mort. Les personnes qui se rendent à l’étranger s’y rendent pour qu’on leur administre une substance létale et non pas pour y être accompagnées ou soulagées. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un pays autorise une pratique et que certains de nos concitoyens y ont recours que l’on doit légiférer dans le même sens. En suivant cette logique, on autoriserait alors les «mères porteuses» parce que cette pratique est autorisée dans certains pays européens. La France ne devrait pas s’aligner sur le «moins-disant éthique». La loi nouvelle n’est pas en continuité avec les lois votées en 2005 et 2016 car elle est, au contraire, en rupture avec un projet d’accompagnement et de soins auquel elle met fin. Emmanuel Macron a-t-il raison de dire que cette «aide à mourir», qu’il perçoit comme un nouveau modèle français, n’est ni une euthanasie, ni un suicide assisté? Il s’agirait donc de n’autoriser ni le suicide assisté ni l’euthanasie. On se prendrait presque à imaginer que cette «aide à mourir» consisterait à appliquer les lois actuelles qui constituent un modèle original français. En réalité le projet autorisera les deux. Cette présentation révèle la volonté de ne pas nommer les choses: la tactique des mots contre l’éthique de l’acte. On n’utilise pas le terme d’euthanasie, rejeté par le corps médical qui ne la considère pas à juste titre comme un acte de soins, et on élimine le mot suicide qui est mal perçu par tous ceux qui le considèrent plus comme un acte de désespoir à éviter qu’une démarche de liberté qu’il faut favoriser. On connaît la phrase attribuée à Camus: «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.» Le modèle français proposé ne sera donc pas très original, il permettra «en même temps» et sans les nommer, de donner la mort à autrui selon les deux modalités déjà autorisées dans certaines législations étrangères. En fait, c’est la procédure utilisée dans l’État de l’Oregon aux États-Unis, associée à la législation en vigueur en Belgique. À titre personnel, je considère, et je l’ai exprimé ainsi au président de la République lorsque je l’ai rencontré, que le suicide assisté sur le modèle de l’Oregon est un moindre mal par rapport à la législation permettant l’euthanasie. Tout en sachant toutefois que le «moindre mal» demeure un mal. Les Français redoutent de souffrir, plus encore que de mourir, et ils ont souvent dans la mémoire le souvenir douloureux de la fin de vie d’un être cher dont les souffrances ont été mal prises en charge Majorité, discernement plein et entier, maladie incurable, pronostic vital engagé, souffrances physiques ou psychologiques, arbitrage médical et collégial… L’ensemble des critères définis pour encadrer cette «aide à mourir» vous semblent-ils suffisants et pertinents ? Les portes entrouvertes finissent grandes ouvertes. Dans tous les pays qui ont autorisé un droit à la mort volontaire ont été mises en place des conditions strictes et restrictives d’application qui se sont assouplies petit à petit. Ainsi en Belgique, le dispositif s’est étendu aux enfants et aux malades psychiatriques. Au Canada, c’est le critère de «pronostic vital engagé» qui a disparu du texte législatif initial. On voit déjà les demandes de certains «d’aller plus loin», ce qui sera inévitable si l’on se base sur le seul critère de la volonté de l’instant d’un patient. Toute restriction apparaîtra alors comme une entrave à sa liberté. En ce qui concerne le critère majeur du pronostic vital engagé, il est important de noter qu’il est plus facile de définir médicalement «le court terme» (quelques jours ou semaines) que le «moyen terme» (quelques mois ou années). La marge d’erreur augmente avec la durée. Si l’on donne la mort sur un pronostic vital s’étalant sur une année, on risquera de se priver d’une amélioration de la maladie toujours possible et de l’éventualité du changement de la volonté du patient. En fin de vie, on change souvent d’avis. Les morts ne changent pas d’avis. Le projet présidentiel inclut la question des soins palliatifs qui bénéficieront de moyens supplémentaires avant la promulgation de la loi. N’est-ce pas ce que demandait le corps médical ? Associer dans le même texte le développement des soins palliatifs au droit de donner la mort est un artifice de présentation pour donner l’illusion que le texte est équilibré entre solidarité et autonomie. Chacun sait que les soins palliatifs n’ont pas besoin d’une nouvelle loi, mais seulement de moyens pour répondre à la loi de 1999. Celle-ci garantit à chaque Français l’accès à des soins palliatifs, mais elle n’est toujours pas appliquée. On meurt encore mal en France. Les Français redoutent de souffrir, plus encore que de mourir, et ils ont souvent dans la mémoire le souvenir douloureux de la fin de vie d’un être cher dont les souffrances ont été mal prises en charge. Ils préfèrent donc la mort anticipée à cette période de douleur subie pour eux et pour leurs proches. Le choix en fin de vie ne doit pas se réduire à la souffrance ou la mort. Si l’on donne la mort sur un pronostic vital s’étalant sur une année, on risquera de se priver d’une amélioration de la maladie toujours possible et de l’éventualité du changement de la volonté du patient. En fin de vie, on change souvent d’avis. Les morts ne changent pas d’avis. Quelle approche préconisez-vous ? Pourquoi ne pas prendre véritablement le parti de la fraternité en développant l’idée que toute vie mérite d’être vécue, que les personnes vulnérables ne sont pas de trop, ne pèsent pas sur la société et au contraire l’enrichissent. Et si les soins palliatifs devenaient un véritable enjeu national? Si l’on appliquait les lois existantes, alors peut-être que «l’opinion» deviendrait une «pensée» conforme à nos valeurs et réclamerait plus et mieux de vie, plutôt que d’appeler la mort pour les délivrer de la souffrance, la solitude et l’abandon. On n’a jamais pris en compte les critères sociaux dans le profil des personnes qui demandent la mort. Or, il existe un risque que la pauvreté ou la solitude constituent des situations favorables à la demande de mort. Au Canada, l’idée fait son chemin puisque les sondages montrent que presque un tiers de la population envisagerait favorablement le suicide assisté pour cette catégorie de la population. Pourquoi êtes-vous sceptique sur la trajectoire décennale annoncée sur les soins palliatifs ? Comment ne pas avoir des doutes sur un projet étalé sur trois mandats et qui comblerait dans les dix ans à venir le retard des dix dernières années? En attendant, nous prenons le risque d’une «loi par défaut» où la mort sera possible partout alors que l’accompagnement ne sera possible que dans certains territoires. Plus de vingt départements sont aujourd’hui dépourvus d’unités de soins palliatifs. Ces unités reçoivent les patients les plus complexes et les plus difficiles, justement ceux qui sont les plus désespérés. N’oublions pas que la demande de mort diminue considérablement lors d’une telle prise en charge. De plus, même si les moyens financiers arrivaient, pourra-t-on répondre à cette demande dans la crise de recrutement que vivent aujourd’hui nos hôpitaux ? Le texte sera présenté en Conseil des ministres à la fin du mois d’avril. Que pensez-vous du calendrier choisi et de la manière dont la réflexion a été conduite ? Le temps long est nécessaire au débat et à la concertation lorsqu’on aborde des sujets humains d’une telle complexité. En réalité, le choix d’Emmanuel Macron d’ouvrir dans notre législation un «droit à la mort» qu’il présente sous le terme ambigu «d’aide à mourir» est fait depuis longtemps. Ce projet suscite donc l’inquiétude des soignants, en particulier en soins palliatifs. Ils voient leur mission remise en cause. Inquiétude aussi des juristes qui voient une atteinte possible aux droits fondamentaux. Sans compter tous ceux qui croient dangereux d’ouvrir la boîte de Pandore d’une telle transgression. Comment les parlementaires devront-ils aborder ce projet de loi en mai ? Je sais qu’ils voteront en fonction de leur conscience et dans le doute «utile et fertile» qu’évoquait Axel Kahn sur ce sujet, ils sauront, j’en suis sûr, éviter les certitudes individuelles et être respectueux de toutes les opinions. Ce sont des moments où le débat doit être profond, serein et basé sur des convictions et non sur des stratégies politiciennes. Mais il est évident qu’un tel calendrier coïncidant avec la campagne des élections européennes est plutôt mal choisi. Ce projet suscite l’inquiétude des soignants, en particulier en soins palliatifs. Ils voient leur mission remise en cause. Inquiétude aussi des juristes qui voient une atteinte possible aux droits fondamentaux Cette loi peut-elle permettre de «regarder la mort en face», comme l’assure le chef de l’État ? François de La Rochefoucauld a dit que «le soleil et la mort ne peuvent se regarder fixement». Plutôt que de regarder la mort en face, je proposerais plutôt de regarder jusqu’au bout la vie intensément. La fin de vie, c’est encore la vie qui peut apporter de la joie et du bonheur partagé. Les dimensions éthiques et religieuses de cette loi sur la fin de la vie vous semblent-elles suffisamment prises en compte ? «Tu ne tueras point» est à la base de toutes les sociétés humaines évoluées. C’est un principe humain, que l’on croie au ciel ou que l’on n’y croie pas. Pour le philosophe Levinas, le visage de l’autre m’interdit de le tuer. Transgresser cette règle nous fait remettre en cause l’essentiel de notre conception de l’humanité. L’ancien ministre de la Justice Robert Badinter l’avait très clairement exprimé avec talent lors d’une audition sur la fin de vie: «Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie.» |