Réseaux sociaux : quête du rendement et mort du social
Et si les réseaux sociaux n'étaient plus tant
commerciaux que
sociaux ?
Dans un article daté du 19 avril, le New York Times constate ainsi la mue commerciale désormais bien avancée de Facebook, Twitter et TikTok. Ces réseaux
« relient de plus en plus les utilisateurs aux marques et influenceurs », quitte à dégoûter leur base première, observe le média. Face à ce changement assumé, les internautes migrent vers des espaces plus confidentiels, pour avoir davantage de prise sur leur vie numérique et échanger avec une communauté, aux valeurs similaires.
Un désalignement entre l'utilisateur et le produitPour le New York Times, les réseaux sociaux sont devenus plus
« corporatistes ». Et pas seulement LinkedIn. Instagram et Facebook sont désormais inondés de pubs et de messages sponsorisés tandis que TikTok et Snapchat proposent des pubs pour des shampoings et des applications de rencontre.
« Nos applis les plus importantes semblent destinées à nous décevoir »,
renchérit Ellis Hamburger dans un article de The Verge intitulé Les réseaux sociaux sont condamnés à mourir. Ils s'écartent tous de leur promesse initiale – un lieu de connexion et de partage pour les amis – pour devenir une vaste place de marché et
« faire apparaître toujours plus de publicités ».
Chaque réseau social est pris dans une course à l'innovation : chaque nouvelle fonctionnalité doit inciter l'utilisateur à s'en emparer. Les filtres et les autocollants sont par exemple une promesse de monétisation :
« Plus d'utilisation, plus d'espace pour les publicités, plus d'argent pour les investisseurs », affirme Ellis Hamburger.
« Lorsque le nombre d'utilisateurs est le ticket d'entrée pour une introduction en Bourse, l'histoire se termine presque toujours par des pubs », poursuit-il.
Les demandes des utilisateurs sont ainsi tuées dans l'œuf. À la volonté des internautes de voir le retour du feed chronologique sur Instagram, le PDG du réseau social a répondu avec l'arrivée des Reels et du Shopping.
« Et c'est ainsi que se poursuit le lent voyage vers un désalignement toujours plus grand entre l'utilisateur et le produit », observe Ellis Hamburger.
Un désalignement entre le créateur et le réseau socialFace à cette course au profit, les créateurs ressentent également un malaise grandissant. Les plateformes misent sur la production intensive de contenus pour faire marcher leur modèle. Sur Instagram, des plaintes s'élèvent face à un algorithme trop
« dur ».
« Les réseaux sociaux sont tous sur la même pente. Ils sont très exigeants. Il faut produire du contenu tout le temps »,
regrette la créatrice de contenu Éléonore Bridge. Elle refuse ainsi de rentrer dans cette logique stakhanoviste demandée par Instagram pour être favorisé par l'algorithme. Pour elle, pas de Reels ou très peu.
« Les Reels sont le contenu qui marche le mieux, mais qui demandent également le plus de travail. On ne peut pas parler du fonds en 15 secondes, par ailleurs. Ça pousse à créer du contenu vide de sens qu'on consomme ensuite de manière boulimique », déplore la créatrice. Elle évoque également un
« secret de Polichinelle » : la baisse des statistiques qui toucherait tous les créateurs de contenus.
« Les gens n'osent pas en parler, ils ne veulent pas effrayer les annonceurs », explique-t-elle en mentionnant qu'elle ne touche désormais que 5% de ses 56 000 followers en story.
Une fuite vers des espaces plus confidentielsPour Éléonore Bridge, son salut réside dans le lancement de sa propre newsletter et de son blog payant, ouvert il y a deux ans. Sa communauté s'y retrouve. Ce qui lui permet de ne pas être dépendante d'une plateforme qui n'est désormais qu'une source de trafic. Du côté des utilisateurs, ils se retrouvent sur des réseaux sociaux privés.
Selon un rapport de Trust Insights, l'intérêt pour les réseaux sociaux privés a explosé pendant la pandémie et n'a cessé de croître durant ces deux dernières années.
Discord est ainsi utilisé par 9,2% des Américains au moins une fois par semaine, de même que Signal (8,2%), Telegram (8%), Slack (6%) et Twitch (6%). On peut également évoquer Mastodon, qui
selon Eugen Rochko, le directeur général, a connu un grand succès : les utilisateurs auraient publié plus d'un milliard de messages par mois dans ses communautés (et aucune pub ou algorithme ne vient gêner les retrouvailles). Même si beaucoup semblent finalement vouloir rester sur Twitter... Les habitudes ont la peau dure.