C’est une phrase intrigante, qui date du XVIIIe siècle, mais qui apporte un éclairage précieux sur notre époque. Elle est tirée de « l’Emile » (1762) du philosophe Jean-Jacques Rousseau, et citée par Renaud Hétier, professeur des sciences de l’éducation, dans l’essai fort intéressant qu’il vient de faire paraître (« Saturation. Un monde où il ne manque rien sinon l’essentiel », PUF, 352 p., 19 €). Rousseau, écrit Hétier, « raconte le cas d’un enfant qui brise les vitres de sa chambre. Le gouverneur décide de ne pas les réparer (du moins pas tout de suite) et Rousseau précise à propos de l’enfant : “Il vaut mieux qu’il soit enrhumé que fou.” » Autrement dit, il vaut mieux que le petit vandale souffre du froid hivernal, et soit donc mis devant les conséquences de ses actes, plutôt que de le protéger de lui-même et de le frustrer, au point d’ébranler sa santé mentale. Cette position « confrontiste », une partie des Occidentaux la partagent plus ou moins consciemment ces derniers temps. Fascinés par ceux qu’on pourrait appeler les « briseurs de vitres », tous ces bateleurs populistes, xénophobes, débarrassés des derniers garde-fous qui leur restaient, et que Giuliano da Empoli nomme les « ingénieurs du chaos » , ils se sentent prêts à s’enrhumer. Et à tous nous enrhumer. Juste pour voir. Bien sûr, le grand n’importe quoi auquel Trump, Musk et leurs sbires se livrent depuis trois mois semble refroidir, un peu, les ardeurs de ses partisans européens, même ceux du Rassemblement national. Et on essaie de se rassurer en se disant : « Allons, les gens voient bien que mettre des incompétents irresponsables au pouvoir, ça ne produit rien de bon. » Mais c’est sans doute trop optimiste. Car, comme l’enfant de Rousseau, il y a fort à parier que le désir d’aller au bout de leurs passions tristes, et de voir un peu ce que ça fait, concrètement, de confier les rênes à des aboyeurs dégagistes et anti-social, continuera d’en démanger certains. Ils prétexteront : « Le RN, ce n’est pas pareil que Trump. » Mais au fond, ce n’est pas ça : ils nourrissent plutôt une forme de délectation pour tout ce qui promet de semer le chaos, même si cela leur fera peut-être du mal, à eux (pour peu qu’ils appartiennent aux classes populaires). Voilà pourquoi il revient à ce qui reste d’élites et de médias responsables de garder la tête froide, et de claquer le bec à Jean-Jacques Rousseau. Non, J. J., personne ne finira fou si nous nous hâtons de réparer les vitres. C’est même l’urgence démocratique numéro un. Il faut expliquer, réexpliquer sans relâche, à quel point c’est important, des vitres, et appeler à des politiques qui les protègent, pour mettre hors d’état de nuire les balanceurs de cailloux de tous poils. Car ce n’est pas un rhume que risque d’attraper l’Europe, mais plutôt une vieille et mortelle maladie, qu’on appelle la peste brune. Arnaud Gonzague |