EDITO Chers amis, Alors que le projet de loi sur la fin de vie a été présenté la semaine dernière en conseil des ministres nous souhaitons vous partager les éléments suivants: le replay du webinaire du 9 avril avec Jean Leonetti, Emmanuel Hirsch (professeur d'éthique), François Vialla (professeur de droit), Astrid Panosyan (députée Renaissance) et Pierre Dharréville (député communiste) ; le dossier législatif sur la fin de vie: le projet de loi, l'exposé des motifs, l'étude d'impact, l'avis du Conseil d'Etat ; les résultats de notre consultation à laquelle vous avez été nombreux à participer et l'interview d'Hospimedia (ci-après) ; l'interview de Claire Fourcade sur Radio Classique / Le Figaro les prochaines étapes du calendrier : 22 avril : début des auditions en commission spéciale à l'Assemblée nationale 13 mai - 17 mai: discussion puis vote en commission spécial 27 mai: début des débats en séance publique à l'Assemblée nationale Vous êtes nombreux à nous solliciter pour contacter vos députés. N'hésitez pas à vous manifester via ce formulaire, nous reviendrons vers vous très rapidement. Comptez sur nous pour rester mobilisés et vous informer en ces semaines cruciales pour l'avenir de la communauté palliative. Bien amicalement, Dr Claire Fourcade Médecin de soins palliatifs et présidente de la SFAP REVUE DE PRESSE Interview Hospimedia - Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs "La mort provoquée va être un élément perturbateur du système de soins" publié le 09/04/2024 - 20h00 Sentiment d'inquiétude et réticence plus forte des médecins sur la légalisation de l'aide à mourir transparaissent dans la consultation menée auprès de 2 297 professionnels du monde palliatif. La présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs Claire Fourcade explicite ces résultats en avant-première pour Hospimedia. Hospimedia : "Quand et pourquoi la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) s'est-elle engagée dans le débat sur la législation de la fin de vie ? Claire Fourcade : Le 8 avril 2021, la nature des débats autour de la proposition de loi d'Olivier Falorni nous a paru assez binaire. Nous nous sommes demandé : "Qu'est-ce que nous avons loupé ?" Le réel était très peu présent, ce débat était décalé de nos expériences. Les patients parlent très bien d'eux-mêmes, nous ne voulons pas parler pour eux mais témoigner de notre quotidien et de notre expertise de l'accompagnement. En 2021, nous avons mené une première enquête pour savoir ce que pensent les soignants et les bénévoles et construire notre discours. H. : À l'approche de la publication du projet de loi, pourquoi mener une nouvelle enquête ? Ces réponses de 2 297 soignants et bénévoles vont-elles permettre d'éviter de s'enfermer dans un débat entre médecins ? C. F. : La première a été publiée dans le BMJ mais ce n'était pas prévu au départ. Cette deuxième enquête a été pensée et travaillée pour être publiée dans un journal scientifique. Même à l'étranger, nous sommes importants. Cela nous permet de porter la parole la plus complète possible. La Sfap est construite de manière multidisciplinaire, avec des groupes de travail transversaux. C'est aussi notre pratique quotidienne et nous avons donc interrogé tout le monde pour que chacun puisse s'exprimer. Les adhérents et les non-adhérents de la Sfap ont répondu et nous ne voyons pas de différences significatives, sur la prescription ou l'injection du produit létal par exemple, dans les réponses. Ces soignants se retrouvent, le collectif est homogène. Les médecins, infirmiers et bénévoles sont impliqués différemment et leur positionnement n'est pas identique. Les médecins sont plus inquiets car ils sont en première ligne. H. : Est-il possible de réussir à débattre sur le sujet alors que le Gouvernement reste bloqué sur sa sémantique et refuse les termes de suicide assisté ou d'euthanasie ? C. F. : C'est un point extrêmement important et très révélateur. Quand le président de la République Emmanuel Macron dit que nous allons regarder la mort en face, c'est un véritable oxymore. Le Gouvernement veut éviter ce qui est compliqué mais ce ne sont pas les mots qui sont violents et difficiles. Il y a peu de choses sur lesquelles nous nous retrouvons avec l'Association pour le droit à mourir dans la dignité mais ils n'ont pas non plus peur d'utiliser les termes. Je suis étonnée par la capacité de Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, à tordre à ce point les mots. H. : Quels sont les moyens de se différencier du discours religieux pour faire entendre la voix des soignants que vous représentez ? C. F. : Il est vrai que sur le sujet de la religion, je suis le maillon faible. Je suis tombée très tôt dans la marmite. Nos pratiques soignantes nous font nous retrouver sur des points centraux, sans afférence religieuse. Comme présidente de la Sfap, je suis vigilante et ne prends la parole que là- dessus. La demande de mort des patients est légitime, notre travail est d'accompagner. La réponse est collective, quels que soient nos cheminements. Il est intéressant de voir des lieux intellectuels où nous nous retrouvons. Il y a aussi la question du pouvoir de la médecine. Avant, j'étais urgentiste, j'ai choisi de renoncer à pouvoir guérir. Les soignants acceptent cette forme d'impuissance. Cela explique notre refus du pouvoir que donnera ce projet de loi aux médecins. H. : Est-ce compliqué de faire entendre votre accord sur une partie de ce projet de loi, sur les soins palliatifs et les droits des patients, et votre désaccord sur l'aide à mourir ? C. F. : Dans le brouhaha, on entend uniquement que la Sfap est opposée. Sur la stratégie, nous avons fourni des documents, par exemple sur les maisons d'accompagnement. Nous essayons de dire tranquillement notre blocage, le défi est d'être entendu. On ne peut pas dire que les deux jambes du projet de loi sont équilibrées*. La place des soins palliatifs y est très petite. Sur la mort provoquée, nous avons demandé, et pas seulement la Sfap mais aussi les autres organisations du collectif soignants, de protéger au maximum la relation de soins. Avec les critères annoncés, des infographies sont déjà prêtes dans les médias pour expliquer comment cela va se dérouler. Nous voulons continuer d'écouter la demande de façon ambivalente, sans avoir l'idée de ce qui va se passer derrière. Dans mon unité, j'ai reçu une jeune patiente envoyée par une autre équipe pour une demande d'euthanasie. Après 1h30 passée avec elle en consultation, je m'apprêtais à quitter la chambre et elle m'a dit : "Docteure, vous ne m'avez pas fait mon vaccin contre le Covid". Comme elle était fragile, elle voulait éviter une infection. Avec cette patiente, nous avons trouvé un chemin et nous voulons pouvoir continuer d'écouter. La confiance dans la relation de soins se construit, pour cela nous avons besoin de pouvoir écouter de façon libre. Cette liberté sera entravée par des critères stricts. La construction d'une relation, des discussions très anticipées, c'est le cœur de notre métier. H. : Dans l'enquête, 32% des médecins et 19% des infirmiers et cadres de santé font part de leur inquiétude sur la solidité de la clause de conscience. Comment l'expliquer et porter ce sujet auprès des parlementaires pour la sécuriser ? C. F. : Nous avons été surpris en 2021 par les résultats. Ce n'est pas qu'ils ne font pas confiance à la clause de conscience. La seule promesse qu'ils font au quotidien, c'est d'être là jusqu'au bout et de ne pas abandonner. Les soins palliatifs sont nés en réaction au refus des médecins d'aller voir la personne qui allait mourir et à la pratique des cocktails lytiques. Cette clause vient casser le sens de l'engagement. Autant s'en aller tout de suite, par crainte que son utilisation vienne trahir cet engagement. Avec les gériatres, notre spécialité est la plus confrontée à la mort. Prendre la mort en pleine face, ce n'est pas le quotidien de tout le monde. Dans mon service, nous avons une infirmière de 21 ans. Elle sait des choses sur la vie et la fin de vie que des personnes ne sauront jamais de toute leur existence. H. : Vous évoquiez le fait de démissionner, abordé dans l'enquête qui montre une grande inquiétude vis-à-vis de l'évolution de la loi. La consultation met aussi en exergue, en plus des démissions, que le risque de frictions dans les équipes est aussi une préoccupation chez les répondants (68% des médecins, 57% des infirmiers et 45% des autres professions). C. F. : La mort provoquée va être un élément perturbateur du système de soins. Le taux de démission est déjà élevé en général à l'hôpital. Dans les équipes, nous avons plein de sujets de friction au quotidien, sur les pansements, les antalgiques, etc. Nos confrères en Belgique ou en Suisse nous ont dit qu'il a fallu trois ans pour que des voix se disent favorables dans les équipes. Ce nouveau dissensus, une part importante des équipes le redoute. Or la promesse du non-abandon ne peut se faire qu'en équipe, c'est une promesse collective. L'expérience des soins palliatifs, c'est celle de l'inversion des priorités et c'est l'avenir du soin, de comment on écoute et de comment on soigne. H. : Vous évoquez les cas de la Belgique et de la Suisse, où des législations ont déjà été adoptées sur le suicide assisté et l'euthanasie. Quel rôle ont ces exemples internationaux dans vos débats ? C. F. : Les équipes de soins palliatifs belges nous disent toutes qu'elles pratiquent peu l'euthanasie mais qu'elles ressentent une forme de contrainte. Elles en réalisent certaines pour partager le port du fardeau entre les acteurs. Cette crainte existe pour nous mais la différence est que les soins palliatifs ont été formalisés après l'euthanasie en Belgique. Les pays où la loi a été votée rapidement, comme en Espagne, nous mettent en garde et nous invitent à mettre à profit le temps à venir pour réfléchir et construire ensemble, même si nous avons des points de vue différents. Nous ne pourrons pas dire que nous n'avions pas vu la loi venir. Les conférences que nous organisons avec des collègues internationaux ont toujours du succès car il existe très peu de recherches et de publications. Nos questions sont communes en Europe. Par exemple, en Autriche, la loi rend obligatoire une consultation de soins palliatifs dans la demande de suicide assisté. Nous pensions que c'était une bonne idée mais ils nous disent que pour eux, c'est un enfer, ils n'ont plus le temps de s'occuper de leurs patients. Finalement, ce n'est pas une si bonne idée. La loi va nous déstabiliser mais notre pratique peut toujours progresser grâce aux échanges. H. : Est-il possible de faire entendre, en France, que les soins palliatifs manquent de moyens, alors que la crise de l'hôpital public est permanente et que le Gouvernement fait des annonces chiffrées, avec 1,1 milliard d'euros supplémentaires et une unité de soins palliatifs (USP) par département ? C. F. : Il n'y a pas de solution miracle. Pour les USP, il faut des professionnels à mettre dedans. Dans les Pyrénées-Orientales, l'autorisation existe depuis plusieurs années mais personne n'était là pour porter le projet. Le nombre de personnes non accompagnées est immense. Je pense que nous aurions intérêt à avoir une réflexion plus poussée sur l'obstination déraisonnable et sur l'allocation des ressources. Une quinzième ligne de chimiothérapie onéreuse a-t-elle du sens ? La réflexion doit être collective pour inciter aux bonnes pratiques. Il me semble que si un système de bonus ou de malus financier était en place, il inciterait à réfléchir pour modifier les pratiques. Des changements systémiques ont déjà été faits. Avant, il ne fallait pas dire au patient qu'il avait un cancer. Plus personne n'imaginerait écrire un faux compte rendu de scanner aujourd'hui. À la faculté de Montpellier (Hérault), un groupe de parole est mené après le premier stage sur la mort, la maladie grave, l'accompagnement des familles. J'espère que ce seront des médecins différents. Il y a des choses à faire. H. : Le débat parlementaire va durer un certain temps. Comment continuer à vivre le débat en interne et préparer l'après ? La Sfap pourrait notamment être sollicitée sur les futures bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé sur la conduite à tenir lors de la procédure qui sera possiblement votée. C. F. : En parallèle de la convention citoyenne, nous avons animé une convention des soignants et quelqu'un a parlé de stress prétraumatique. Nous avons un travail d'accompagnement à mener pour mettre en place des outils et trouver des réponses. La Sfap a deux pieds, elle milite pour le développement des soins palliatifs mais c'est aussi une société savante. La composante scientifique aura de l'espace pour travailler et se développer. Le débat n'est pas imposé mais proposé à tous. J'espère que nous serons sollicités sur les bonnes pratiques mais cela se fera sur la base du volontariat. La question se pose déjà sur la commission de contrôle a posteriori. Nous allons nous questionner et décider. La Sfap n'est pas un village gaulois, nous sommes dans la société et ouverts au débat. Le collectif soignants n'est pas dans l'opposition mais dans la réflexion. Nous allons continuer de travailler avec les gériatres ou les néphrologues." |